Les survivants de la "Petite Espagne"

 

La "Petite Espagne" est née dans les années 20, au beau milieu de la Plaine Saint-Denis (93). A cette époque, les travailleurs espagnols d'Extremadura ou d'Andalousie ont afflué pour alimenter le besoin en main d'œuvre des industries d'Ile-de-France et se sont installés à la hâte dans des habitations précaires. Toute une vie à l'espagnole s'est alors organisée dans le quartier, avec ses petits commerces et ses bars à tapas.

Dans les années 60, on dénombrait pas moins de 3 000 Espagnols dans la Plaine. Mais de la grande époque de la petite Espagne, il ne reste aujourd'hui qu'une seule rue, "Cristino Garcia" (du nom d'un résistant fusillé par Franco), et les nouveaux venus se font de plus en plus rares. C'est dans cette rue, perdue au milieu des friches industrielles, qu'est implanté le Foyer des Espagnols (El Hogar). Ce centre, autour duquel gravitait tous les Hispaniques de la banlieue parisienne, est encore le lieu de rendez-vous préféré des travailleurs espagnols à la retraite.

"El Hogar", entre nostalgie et résistance

Pas moins de 4 000 m2 compose le foyer des Espagnols : une grande cour, cernée de bâtiments en briques rouges, et, face à l'entrée, une bâtisse blanche, à l'espagnole. À l'intérieur, ambiance café de village, Espagne traditionnelle, pas une femme à l'horizon. A Accoudés au bar ou plongés dans leur partie de dominos, des sexagénaires, enveloppés dans un halo de fumée, discutent bruyamment… dans la langue du pays. La pièce, claire, arbore une fresque murale colorée évoquant l'évangélisation, et rappelant qu'en 1926, le foyer fut créé par des moines, avec l'appui du roi d'Espagne.

Antonio Aliaga est arrivé à Saint-Denis dans les années 60. Aujourd'hui président de l'association qui gère le foyer et compte quelque 300 membres, il se souvient : "J'animais le club de foot de l'association ; j'emmenais les jeunes sur les terrains des alentours. J'étais bénévole, comme tous les animateurs du foyer ; on venait après le boulot et les week-ends. A l'époque, il y avait vraiment une solidarité entre Espagnols du quartier ; on se cotisait pour venir en aide aux plus démunis. Quand on arrivait d'Espagne, on ne parlait pas un mot de français, on était content de rencontrer des frères sur qui compter, de bénéficier de soins gratuits au dispensaire (aujourd'hui fermé), de suivre les cours de français, de participer à des activités de foot, de théâtre, de danse…" Nostalgique M. Aliaga ? "Non, car nous vivions dans des conditions précaires. Il y avait des sortes de bidonville, juste là, derrière. Aujourd'hui, on est intégrés, on touche la retraite, bref on se débrouille mieux qu'autrefois."

L'Etat espagnol, propriétaire du bâtiment, envisage depuis peu de fermer le foyer. Une perspective à laquelle les survivants de la Petite Espagne s'opposent fermement. "C'est vrai que le foyer est un peu excentré, explique Antonio Aliga. Et nous avons dû cesser les cours du soir d'espagnol, faute d'élèves. Le ciné-club, où nous passions des films en espagnol jusqu'en 1998, est ausi fermé car on nous a volé tout le matériel. Mais les Espagnols viennent de toute la banlieue (La courneuve, Aubervillier…) lorsqu'il y a des fêtes." Ce soir, après la conférence sur la double imposition et avant d'ouvrir le bal, les habitués se retrouvent pour un "asado de castana" où l'on fait griller des marrons, comme en Espagne à cette saison. Les jeunes viennent souvent le samedi après midi pour la "tertulia" : ils se réunissent dans les petites salles, discutent, dansent, et passent du bon temps entre amis.

"Ici, je suis chez moi comme en Espagne, témoigne José Rodriguez, personnage volubile au fort accent espagnol. Si le foyer fermait, ce serait comme si on me coupait un doigt ! On est une bande de dix à douze copains, on se retrouve tous les week-ends pour jouer à la pétanque ou au domino, discuter et boire un coup au bar. Au fond, je n'ai qu'un rêve : retourner dans mon village natal, mais, vous comprenez, j'ai fait ma vie ici. Je me suis bien débrouillé ; j'ai travaillé 25 ans dans la métallurgie et j'ai pu m'acheter une maison tout près d'ici. J'ai rencontré une Espagnole au foyer. On s'est mariés, on a eu des enfants. Ma femme anime toujours les cours de danse du foyer. Maintenant ce sont nos petites-filles qui y viennent." Alors, même s'ils déplorent que le quartier soit laissé à l'abandon, c'est sûr, José et les "papis" du foyer feront de la résistance pour que le Hogar vive et que la Petite Espagne ne perde pas son âme.

Foyer des Espagnols
10 rue Ortega Garcia - 93210 La Plaine Saint-Denis
RER La Plaine Voyageurs - Stade de France
Tél. 01 47 99 00 70
Président : Antonio Aliaga
http://www.planetaparis.com/espagne/thema3.htm

L'ESPAGNE A PARIS

LA COMMUNAUTE ESPAGNOLE

QUI SONT ILS ?

Repères

Nombre de personnes :
Le Consulat décompte 72 000 personnes d'origine espagnole en Ile de France, dont 27 000 environ à Paris, ce qui place cette communauté en 5e position derrière les Portugais, les Algériens, les Marocains et les Tunisiens et devant les Italiens. Beaucoup bénéficient de la double nationalité, et il est estimé que plus de 50% des immigrants espagnols, qui se sont succédés au XXe siècle ont pris la nationalité française. D'où une certaine dilution de l'identité espagnole au fur et à mesure des générations.

Les quartiers

La "petite Espagne", à la Plaine St Denis, a quasiment disparue, mais 12 000 résidents d'origine espagnole habitent encore le département de la Seine St Denis. Viennent ensuite les Hauts de Seine (11 000 environ), le Val de Marne (7000), la Seine et Marne et les Yvelines (6 000 chacun) et le Val d'Oise (5 000 environ). .

Secteurs d'activités

Avec la fin des migrations politiques et économiques et l'intégration des nouvelles générations, les personnes d'origine espagnoles se retrouvent dans tous les secteurs : moins d'ouvriers de l'industrie, plus d'employés, cadres, entrepreneurs, professions libérales, professeurs, restaurateurs, artistes…

http://www.planetaparis.com/espagne/fiche.htm

europa, carte de l'espagne, http://www.europa.eu.int/abc/maps/members/spain_fr.htm

SIL, Languages of Spain, http://www.ethnologue.com/show_map.asp?name=Spain&seq=1

 

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