Emeutes de 2005 dans les banlieues françaises : Opinions

Associated Press, Chronologie des émeutes (violences urbaines) en 2005

Attali J., Magnifiques banlieues, Demain les banlieues

Barbier Christian Pourquoi la France brûle

Bauer Alain, Des émeutes tragiquement classiques

le bilan chiffré de la crise des banlieues

Bui Trong Lucienne, Violences urbaines : les raisons de la contagion

Del Valle Alexandre, La nouvelle Intifada française

Finkielkraut Alain, L'illégitimité de la haine

Glucksmann André, Les feux de la haine

Idées de France, Emeutes en France

Lévy Bernard-Henri, Sur l'explosion des banlieues

Madelin Alain, L'Etat sauvage

Marseille Jacques, En banlieue on brûle aussi des milliards...

Rapport de police (Gaudin Michel, Lambert Christian, Laureau Philippe, Mailhos Pascal, Monteil Martine)

Rapport des Renseignement Généraux

Raufer Xavier, Emeutes, violences urbaines dans les banlieues...

Redeker Robert, Le nihilisme imprègne les émeutes banlieusardes

Rémond Constant, Les vraies raisons des émeutes

Roché Sébastian, Un coup de rage,

- Un phénomène continu et intensif

Sarkozy Nicolas, Notre stratégie est la bonne

- , Interview

Social Science Research Council SSRC, Riots in France (Césari Jocelyne, Dufoix Stéphane, Hargreaves Alec G, Kastoryano Riva, Roy Olivier, Salanié Bernard, Silverstein Paul A, Suleiman Ezra, Wieworka Michel, Wenden Catherine Wihtol de)

Sorman Guy, Violences urbaines : c'est l'Etat qui a pris feu

Stanger Ted, En France vous ne reconnaissez pas les communautés

Synthèse de la presse américaine

Todd Emmanuel, Rien ne sépare les enfants d'immigrés du reste de la société

Wievorka Michel, Trois grands pas vers l'émeute

Wikipedia, Emeutes (violences urbaines) de 2005 dans les banlieues françaises

-, Réactions internationales aux émeutes de 2005 en France

 

Associated Press le 02/01/2006 20h01

Chronologie des violences urbaines de 2005

Voici une chronologie des violences urbaines de l'automne 2005 en France:

- 27 octobre: trois adolescents croyant être poursuivis par la police se réfugient dans un transformateur EDF à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Bouna Traoré, 15 ans, et Zyed Benna, 17 ans, meurent électrocutés. Un troisième adolescent est grièvement brûlé. Des centaines de jeunes mettent le feu à des voitures et à des magasins à Clichy-sous-Bois

- 28 octobre: des émeutiers tirent à balles réelles sur un véhicule des CRS à Clichy-sous-Bois

- 30 octobre: une grenade lacrymogène explose devant la mosquée de Clichy-sous-Bois, déclenchant la colère d'habitants de cette commune et de villes voisines

- 31 octobre: les violences gagnent d'autres communes de Seine-Saint-Denis. Des jeunes lancent des cocktails Molotov contre des voitures, des magasins et des bâtiments publics. La police réplique avec des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Des incidents éclatent dans le quartier sensible de l'Ousse-des-Bois à Pau (Pyrénées-Atlantiques)

- 1er novembre: une dizaine de villes de Seine-Saint-Denis sont touchées

- 2 novembre: Jacques Chirac appelle au calme en déclarant durant le conseil des ministres: "Il faut que les esprits s'apaisent. Il ne peut pas exister de zone de non-droit en République".

Les émeutes s'étendent à une vingtaine de communes d'Ile-de-France. Quatre coups de feu sont tirés en Seine-Saint-Denis contre des policiers et des pompiers, sans faire de blessé. Un individu asperge de liquide inflammable la passagère d'un bus munie de béquilles et allume le feu; la quinquagénaire est grièvement brûlée. On recense 315 voitures incendiées en Ile-de-France

- 3 novembre: une information judiciaire contre X pour non assistance à personnes en danger est ouverte dans le cadre de l'enquête sur la mort par électrocution des deux adolescents à Clichy-sous-Bois. Le procureur de la République de Bobigny François Molins déclare que, d'après les premiers éléments de l'enquête, il n'y a "pas eu de course-poursuite" entre les jeunes et la police.

Après le "caillassage" de deux rames du RER B au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), un dispositif de sécurité est mis en place dans les trains circulant dans les secteurs "à risques". On recense 593 véhicules brûlés en France, dont 519 en région parisienne. Alors que Paris avait été épargnée jusqu'alors, sept voitures sont incendiées intra muros

- 4 novembre: le Premier ministre Dominique de Villepin reçoit une quinzaine de jeunes des zones urbaines sensibles pour un échange sur la situation dans les quartiers. Les violences gagnent la province, notamment le Nord, l'Ille-et-Vilaine, le Bas-Rhin, les Alpes-Maritimes et la Haute-Garonne. Le nombre d'interpellations augmente (203)

- 5 novembre: Dominique de Villepin reçoit à Matignon Dalil Boubakeur, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), et lui assure que la mosquée de Clichy-sous-Bois "n'a en aucune manière été visée par les forces de l'ordre".

Un atelier de confection de cocktail Molotov est découvert dans un local désaffecté à Evry (Essonne). On recense 1.295 véhicules brûlés, dont 554 en province et 35 à Paris intra muros, ainsi que 349 interpellations. Graves incidents à Evreux (Eure)

- 6 novembre: "Aujourd'hui, la priorité absolue, c'est le rétablissement de la sécurité et de l'ordre public", déclare M. Chirac dans sa première déclaration publique depuis le début des violences. On recense 1.408 voitures brûlées (record), 274 communes touchées, 36 policiers et cinq pompiers blessés, 395 interpellations. Violents affrontements à Grigny (Essonne) où deux policiers sont blessés par des tirs de fusil de chasse

- 7 novembre: des violences urbaines, d'une moindre ampleur, sont signalées en Belgique et en Allemagne. Jean-Jacques Le Chenadec, un homme de 61 ans qui se trouvait dans le coma depuis trois jours après avoir été frappé alors qu'il tentait d'éteindre un feu de poubelle en bas de son immeuble à Stains (Seine-Saint-Denis), décède des suites de ses blessures. C'est le premier décès depuis le début des émeutes.

Le Premier ministre Dominique de Villepin annonce que le gouvernement va autoriser les préfets à recourir au couvre-feu et qu'il a décidé d'appeler 1.500 réservistes, gendarmes et policiers, pour renforcer les 8.000 membres des forces de l'ordre présents dans les banlieues. On recense 1.173 voitures incendiées en France, 226 communes touchées et 330 interpellations

- 8 novembre: le gouvernement prend le décret instituant l'état d'urgence dans les banlieues, afin de permettre aux préfets d'y appliquer des mesures de couvre-feu (loi du 3 avril 1955). La Somme devance la parution du décret en instaurant un couvre-feu pour les mineurs de 16 ans à Amiens. On recense 617 voitures brûlées (150 en Ile-de-France et 467 en province), 196 communes touchées et 280 interpellations

- 9 novembre: au moins quatre autres départements prennent des mesures de couvre-feu: Alpes-Maritimes (à Nice et Cannes, notamment), Eure, Loiret, Seine-Maritime. On recense 482 voitures brûlées et 203 interpellations

- 10 novembre: critiqué pour sa discrétion depuis le déclenchement des violences urbaines, Jacques Chirac s'exprime longuement, pour prendre acte du "problème" et annoncer qu'il en tirera les conséquences "le moment venu". Rendant hommage "au professionnalisme et au sang-froid des forces républicaines de sécurité", il appelle aussi à leur responsabilité les "parents des trop nombreux mineurs qui, souvent d'ailleurs poussés en avant par leurs aînés, ont participé à ces violences urbaines".

La préfecture du Rhône et la préfecture de police de Paris, notamment, interdisent la vente de carburant au détail. On recense 463 voitures brûlées et 201 interpellations

- 11 novembre: environ 200 personnes participent à Paris à un rassemblement pour réclamer l'arrêt des violences urbaines et demander au gouvernement "une écoute forte et sincère" des habitants des quartiers populaires. La mairie de Belfort interdit la circulation des jeunes de moins de 16 ans non accompagnés de leurs parents entre 21h et 6h de vendredi soir à mardi matin

- 12 novembre: alors que des appels à des "actions violentes" circulent, la préfecture de police de Paris interdit tout rassemblement "de nature à provoquer ou entretenir le désordre sur la voie et dans les lieux publics" pour la période allant de samedi 10h à dimanche 8h

- 14 novembre: le gouvernement décide de prolonger de trois mois l'état d'urgence à compter du 21 novembre. Après plus de deux semaines de violences, M. Chirac lance un appel solennel aux "filles et fils de la République" oubliés dans les quartiers, en affirmant sa "détermination"à lutter contre les discriminations à l'emploi, au logement, dans les médias ou dans les institutions.

"Pour mieux aider les jeunes", ceux en difficulté en particulier, il annonce la création d'un "service civil volontaire" - qui regroupe une série de dispositifs déjà existants, des programmes liés au ministère de la Défense, de l'Intérieur, voire à l'Union européenne

- 15 novembre: Dominique de Villepin se rend à la Maison de l'entreprise et de l'emploi dans la Cité des 3.000, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), effectuant ainsi son premier déplacement en banlieue depuis le début des violences

- 16 novembre: le Parlement adopte le projet de loi prorogeant pour trois mois l'état d'urgence à compter du 21 novembre

- 17 novembre: avec 98 voitures brûlées la nuit précédente, les forces de l'ordre annoncent un retour "à la normale" dans les banlieues françaises. Le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy déclare dans "L'Express": "La polygamie et l'acculturation d'un certain nombre de familles font qu'il est plus difficile d'intégrer un jeune Français originaire d'Afrique noire qu'un jeune Français d'une autre origine"

- 18 novembre: Jacques Chirac reçoit à l'Elysée des jeunes issus des banlieues ayant eu un parcours exemplaire, 11 lauréats du concours "talents des cités", créé en 2002 pour récompenser les créateurs d'entreprises ou d'associations dans les banlieues françaises

- 22 novembre: M. Chirac demande aux partenaires sociaux d'ouvrir des négociations sur les moyens de lutter contre les discriminations dans les entreprises

- 24 novembre: lors d'un déplacement Jouy-le-Moutier (Val d'Oise) pour visiter le centre de formation par alternance de l'entreprise Veolia Environnement, Jacques Chirac lance un message d'optimisme aux jeunes des quartiers "que la société n'a pas aidés comme ils auraient été en droit de l'attendre".

François Grosdidier, député UMP de Moselle, saisit le garde des Sceaux pour que soient engagées des poursuites judiciaires contre sept chanteurs ou groupes de rap dont Mister R, 113, Lunatic, Minister A.M.E.R, Smala, Fabe et Salif. A ses yeux, le déferlement de violence en banlieue était conditionné par une "idéologie sommaire" propagée par le rap

- 27 novembre: le premier secrétaire du PS François Hollande demande la levée de l'état d'urgence

- 1er décembre: Dominique de Villepin présente un plan pour l'égalité des chances avec notamment un "contrat de responsabilité parentale", un renforcement des aides aux zones d'éducation prioritaire (ZEP), l'ouverture à tous les jeunes des quartiers sensibles du contrat jeune en entreprise, la légalisation du "testing" et l'extension des zones franches urbaines.

- 31 décembre au 1er janvier: 425 véhicules brûlés dans toute la France, contre 333 en 2004; pas d'affrontements.

- 2 janvier 2006: Jacques Chirac décide de lever l'état d'urgence. La décision est inscrite à l'ordre du jour du conseil des ministres du 3 janvier pour entrer en vigueur le 4.

AP

http://www.boursorama.com/pratique/actu/detail_actu_politique.phtml?&news=3159600

 

L'Express du 10/11/2005
Magnifiques banlieues

j@attali.com

Il faut permettre à ces jeunes de devenir ces entrepreneurs, ces créateurs, ces chercheurs dont le pays a besoin

Rien de ce qui arrive dans les banlieues n'est une surprise; les émeutes d'aujourd'hui sont le prix à payer pour vingt ans d'inaction politique et d'hypocrisie culturelle. Car, malgré des dizaines de milliers de voitures incendiées et des dizaines de plans d'action, s'est installée dans notre pays une véritable ségrégation sociale et ethnique: ceux qui sont français depuis quelques générations n'ont rien fait pour accueillir les nouveaux venus et leurs enfants. Et ces «nouveaux Français», baptisés à tort «immigrés de deuxième génération», sont, dans les faits, exclus plus complètement encore que si une loi l'avait décrété.

Ces Français-là ne sont en effet représentés dans aucune instance politique ou syndicale; très peu sont médecins, avocats, fonctionnaires; encore moins sont députés, ministres ou dirigeants syndicaux, sinon comme alibis. Exclus des droits de la citoyenneté, ils n'ont pas été conduits à en apprendre les devoirs et se complaisent dans leur ghetto: on ne dira jamais assez le tort qu'a fait à notre pays la suppression sans contrepartie du service national.

Le projet des émeutiers est alors, comme toujours, un reflet du projet des élites qu'ils contestent. En mai 1968, le pays avançait à marche forcée vers la société de consommation, et la contestation, largement intellectuelle, rêvait, en miroir, d'une utopie fraternelle. Aujourd'hui, les gouvernants n'ont pas de projet, et, toujours en miroir, la contestation, largement criminelle, est sans rêve. Les émeutiers se contentent de haïr l'Etat qui les nie et d'en détruire les symboles.

Le pays ferait une grave erreur en se cantonnant à apporter une réponse sécuritaire, pourtant indispensable. Il en ferait une autre en croyant qu'il suffit d'améliorer la qualité de vie des banlieues pour que ces Français s'y sentent bien: les jeunes de ces cités ont envie d'accéder aux beaux quartiers; et les banlieues seront d'autant plus magnifiques que leurs habitants auront des chances d'en sortir. Aujourd'hui, l'urgence est culturelle: il faut d'abord combattre les actes de racisme et de discrimination, en particulier quand ils sont commis par des agents du service public. Il faut ensuite fournir à ces jeunes les moyens d'aimer la langue et la culture française. Il faut enfin leur faire confiance, en leur offrant des chances de réussir.

L'argent est pour cela nécessaire, mais beaucoup a déjà été dépensé en vain. Il le serait encore si on se contentait, comme le suggère la gauche, de proposer des emplois-jeunes. Il faut au contraire donner aux jeunes les moyens de financer leurs propres projets, en les aidant à les formuler, pour leur permettre de devenir ces entrepreneurs, ces cadres, ces créateurs et ces chercheurs dont le pays a tant besoin et qui pourraient remplacer, un jour, ceux qui fuient la charge fiscale. Dans le tourbillon des émeutes, beaucoup approuveront ces propositions. Mais une fois l'ordre revenu, naturellement, rien ne se passera. On fera même sans doute tout le contraire, pour punir «ces gens-là» de nous avoir fait si peur…

http://www.lexpress.fr/idees/tribunes/dossier/attali/dossier.asp?ida=435712

L'Express du 12/01/2006
Demain, les banlieues

j@attali.com

Si rien n'est fait avant 2008 pour intégrer les jeunes, bien des épreuves nous attendent, bien des émeutes

Il y a un mois, nos banlieues étaient à feu et à sang; tout fut dit alors sur les causes de cette colère et sur l'urgence des réponses à y apporter. Depuis, qu'a fait le pays? Rien. Il a célébré avec une nostalgie touchante le souvenir de son ancien président, pendant que son successeur, au sommet de l'impopularité, en était réduit à reprendre à son compte dans ses vœux l'essentiel des propositions de la gauche, tout en s'arrangeant pour ne pas pouvoir les faire adopter avant la fin de son mandat. Pendant ce temps, aucune mesure d'importance n'a été prise pour réduire la fracture sociale et aucun effort n'a même été entrepris pour agencer un peu autrement le budget de l'Etat, que chacun sait exsangue.

Une telle situation est révélatrice de l'état de l'appareil français de gouvernement, entré dans une hibernation préprésidentielle, royaume du verbe pur, où ne vaut plus que la posture. Cette paralysie durera même jusqu'aux municipales de 2008, car aucun président nouvellement élu ne prendra le risque, par des mesures impopulaires, de les perdre. En particulier, rien ne sera fait pour intégrer les jeunes des banlieues. Et dans ce cas, bien des épreuves nous attendent, bien des émeutes, bien des colères. Pour éviter cela, il faudrait avoir le courage d'agir massivement, tout de suite, en mobilisant la société entière, comme s'il n'y avait pas d'échéance électorale. D'abord, en relançant les emplois-jeunes, la police de proximité et la vie associative, qui font cruellement défaut depuis des mois. Ensuite, en exigeant des plus grandes entreprises du pays qu'elles recrutent chacune, dès 2006, quelques centaines de jeunes de chaque quartier, soit directement dans l'une de leurs usines, soit chez l'un de leurs sous-traitants. Et en exigeant d'elles qu'elles nomment aussi, dès cette année, dans leurs conseils d'administration, des représentants de ces minorités.

Ensuite encore, en faisant en sorte que les grandes écoles et les universités élargissent dès 2006 les conditions de recrutement de jeunes venus de ces quartiers, sans remettre en question la qualité de leurs diplômes. Puis en demandant aux municipalités de lancer très rapidement, et de façon massive, des programmes d'assistance à ces jeunes pour leur recherche d'emploi, afin de les former et de leur trouver un financement, en aidant à ce que s'installent dans leurs cités des agences de banques et des institutions de micro-finance, qui pourraient fournir très rapidement des solutions aux problèmes de l'emploi. Enfin, en faisant en sorte que les partis politiques, qui préparent dès maintenant le choix de leurs candidats aux prochaines élections, législatives et municipales, s'engagent dans la voie d'un respect des minorités.

Si rien de tout cela n'est fait de façon visible, significative, massive, dans les prochains mois, si la droite comme la gauche, dans les lieux où les uns et les autres ont du pouvoir, Etat et régions, et si les dirigeants des entreprises ne font rien de concret et d'ample, il ne faudra pas s'étonner que les révoltés de demain ne se contentent plus de brûler les voitures de leurs propres parents.

http://www.lexpress.fr/idees/tribunes/dossier/attali/dossier.asp?ida=436537

 

mardi 8 novembre 2005, mis à jour à 19:04
Violences urbaines
Pourquoi la France brûle

par Christophe Barbier

Etat d'urgence: c'est la réponse du pouvoir aux émeutes dans les banlieues. Mais il est déjà perdant dans cette crise de régime où il paie dix ans d'échecs de Jacques Chirac et trente ans de fiasco de la politique de la ville

Ainsi va la France: jamais elle ne produit les crises que l'on attend ou pronostique. On guettait l'humeur des syndicats tout au long de cet automne, et ce sont les banlieues qui ont sauté à la figure du pays. Un embrasement sans précédent, qui stupéfie le monde, ruine l'image de la France à l'étranger et devient de plus en plus dangereux pour ses habitants. Nul autre pays, il est vrai, n'est capable de basculer aussi soudainement dans un drame national. Parce que l'Etat y est plus omnipotent que partout ailleurs, les désordres y prennent vite une ampleur exceptionnelle et des allures de révolution. Rien ne s'y joue d'important sans que les gouvernants soient mis en cause. S'il est bien un fait politique majeur dans ces journées de révolte, au-delà de la fracture sociale, qui jaillit des cités comme un volcan de terre, c'est cette confrontation directe entre le pouvoir et des émeutiers parfaitement conscients de défier l'ordre public.
Pour le gouvernement et le chef de l'Etat, cette épreuve est à hauts risques, car tout y est imprévisible. Certes, le pouvoir a choisi la manière forte pour ramener le calme en réveillant la loi de 1955 sur l'état d'urgence, qui autorise les préfets à décréter le couvre-feu; mais, même s'il parvient à ses fins, il en sortira terriblement affaibli. On ne peut vouloir incarner la sécurité et l'ordre et être ainsi malmené. C'est la crédibilité de la droite qui est en question sur son terrain de prédilection. Celui-là même qui avait permis à Jacques Chirac de se faire réélire en 2002. Le chef de l'Etat, à dix-huit mois de la fin de son mandat, se retrouve dans une double situation d'échec: la fracture sociale, qu'il voulait refermer en 1995, devient une immense crevasse sous ses pas; l'ordre public, dont il était le champion, est balayé par une révolte qui peut se transformer en chienlit nationale, tant le ras-le-bol et la souffrance vont bien au-delà des banlieues.
Autant dire que sa politique est en dépôt de bilan. Il faudrait peu de chose pour que ce soulèvement se transforme en crise de régime. Tous les ingrédients du collapsus politique sont réunis. Même si les ferments sont très différents de ceux de Mai 68, la situation est comparable: une chienlit sociale qui révèle un danger majeur de désagrégation de la société et un pouvoir dont les commandes ne répondent plus, faute de savoir anticiper les événements et les gérer. Le déphasage entre le sommet de l'Etat et la réalité est si criant que le château de cartes peut s'effondrer. La crise peut, évidemment, retomber, mais le feu continuera à couver sous la cendre, rendant la situation incertaine et alimentant une inquiétude que le pouvoir aura bien du mal à assumer face au reste de la population. Or une nation ne peut vivre durablement avec un pouvoir qui ne sait pas la soulager de ses peurs. Les révoltes peuvent s'amplifier et pousser les gouvernants à une véritable répression. Mais une nation démocratique ne peut vivre durablement en état de siège.
Tout peut donc arriver. Une chose est certaine: comme en 1968, le pouvoir, s'il impose l'ordre, remportera une victoire à la Pyrrhus, car, quelle que soit l'évolution des événements, il en sortira perdant, tant son autorité a déjà été piétinée. Durer jusqu'à l'échéance électorale de 2007 sera un bien long marathon, voire un calvaire, si les périls demeurent. Comment redresser le pays quand la base de toute politique, l'ordre, vacille? La droite paie à la fois une addition de dix ans, avec l'incapacité de Jacques Chirac à recoudre la nation française, et une ardoise de trente ans, celle de l'incurie collective en matière de politique de la ville. Avec la récurrence des flambées et la permanence des problèmes, il existe au premier regard une fatalité des banlieues françaises, comme si le fameux «On a tout essayé», que François Mitterrand avait appliqué au chômage, était valable pour les quartiers en difficulté. Mais il en est de la ville comme de l'emploi: tout a été essayé, sauf ce qui marche.
Pas de fatalité, donc, mais un long fiasco français. Gauche et droite, fonctionnaires et élus, permissifs et sécuritaires s'y sont cassé les dents. Avec une certaine résignation, puisque, entre deux crises, les zones sensibles étaient sous contrôle. Et la recette s'imposait: faire ce que l'on peut pour arriver à pas grand-chose mais éviter le pire. Cette fois, le pire est là. C'est la France, pourtant, qui a inventé la politique de la ville, pour que vivent ensemble, dans des cités mal pensées, des populations mal intégrées. Des années 1980, avec le «développement social des quartiers», au plan de Jean-Louis Borloo en août 2003 (30 milliards d'euros, 200 000 logements détruits, autant de reconstruits et autant de rénovés), l'ambition n'a cessé de croître, les moyens de fluctuer et les illusions de s'éteindre. Avec le couple Borloo- Sarkozy, doté de grands moyens financiers, la droite croyait avoir équilibré répression et social. Depuis deux semaines, preuve est faite que la France boite encore. L'alliance du béton et du bâton ne suffit pas.
Pourquoi ces trente ans d'échecs? D'abord, parce que le chômage a noyé toutes les bonnes volontés, ruinées aussi par l'effondrement des autorités, de l'Etat à la famille, en passant par l'école. Ensuite, parce que l'administration, et non les élus, a mené les réformes. Ou plutôt les administrations, qui toutes inventèrent leur dispositif, provoquant un vaste saupoudrage et une grande confusion, aucune mesure n'effaçant les précédentes. Enfin, la France a toujours alterné le global et le local, le plan d'Etat et le sur-mesure municipal. Le plan Borloo a tranché en faveur du second, sanctuarisant des crédits monstres pour des projets pensés au cas par cas. Lentement, le paysage urbain change, même si le ministre convient que l'Ile-de-France manque de terrains libres pour parfaire cette mue. Mais les habitants ne se changent pas comme des ascenseurs en panne. Le bâti peut être repris jusqu'en ses fondations, le facteur humain est beaucoup plus complexe à corriger. Or le problème des banlieues est aussi, peut-être avant tout, un problème de population.
Beurs en retrait, jeunes Noirs en pointe
C'est l'ultime tabou français: «Vaut-il mieux traiter les “lieux'' ou s'occuper des “gens''?» demande Marie-Christine Jaillet, chercheuse à l'université Toulouse-le Mirail. Depuis la Marche des beurs, en 1983, on sait que le «qui» l'emporte sur le «où», mais les gouvernements ne savent que répondre. Aujourd'hui, dans les émeutes, les beurs sont en retrait et les jeunes Noirs en pointe, mais les observateurs ne savent comment le dire. «Modèle républicain oblige, poursuit Jaillet, il n'est pas politiquement correct, en France, de prendre en compte la dimension ethnique», que la récupération par le FN a par ailleurs incité à «euphémiser». La question est désormais ouverte et, avec pragmatisme, la France doit lui apporter des réponses. Parce que l'urbanisme n'est pas la seule solution pour ces jeunes Français qui ne croient pas à la France, au point d'y mettre le feu. Ni l'état d'urgence, la seule réponse pour ceux qui voient brûler leur voiture.

© L'EXPRESS

http://www.lexpress.fr/info/quotidien/actu.asp?id=1046

 

"Des émeutes tragiquement classiques"
Propos recueillis par Renaud PILA
Banlieues : "Des émeutes tragiquement classiques" Pour Alain Bauer, criminologue et président de l'Observatoire national de la Délinquance, les sept dernières nuits de violences en banlieue parisienne ont des caractéristiques connues. En revanche, si la violence persiste la semaine prochaine, la France sera confrontée à un phénomène inédit.

Créé le 03 novembre 2005
Mis à jour le 05 novembre 2005 à 12h43

Pensez-vous que les événements de ces derniers jours marquent un tournant dans la crise des banlieues ?

Alain Bauer : Non, je pense qu'il s'agit d'une crispation exceptionnelle liée aux deux drames de la semaine dernière : l'accident tragique dans le transformateur EDF et le meurtre, moins médiatisé, du père de famille tué à Epinay. Vous savez, 17 fois en 2003 et une dizaine de fois en 2004, des violences urbaines de ce type se sont produites après un drame, pas forcément liées d'ailleurs aux relations entre les jeunes et la police. Ce fut ainsi le cas après le suicide d'un jeune en prison. Ces échauffourées durent en moyenne 4, 5 ou 6 jours.

Le terme "émeutes" est tout de même rarement employé...

Le terme existe dans l'échelle des violences urbaines mise en place au début des années 90. Une émeute est une attaque de grande ampleur organisée contre les institutions de la République. En 2003 et 2004, certaines violences étaient déjà des émeutes. Les actions de guérilla existent depuis 1986, les agressions contre les pompiers ou autres agents publics qui portent un uniforme sont connues depuis 15 ans. Mais il est vrai que l'on assiste ces jours-ci à une concentration de ces phénomènes liée à la gravité de l'événement déclencheur puis à l'épisode malheureux de la grenade lancée sur la mosquée. Autre élément à prendre en compte pour comprendre l'ampleur, le climat. Ce beau temps tardif ne facilite pas le retour au calme.

On est face à un phénomène tragiquement classique dont la durée reste pour l'instant raisonnablement normal. La question est de savoir aujourd'hui si nous sommes dans un baroud d'honneur avec la fin du ramadan jeudi soir. On devrait dans ce cas-là parvenir à un retour au calme d'ici à la fin du week-end. En revanche, si cela se poursuit la semaine prochaine, on sera dans un phénomène nouveau.

Ces violences sont-elles organisées et structurées ?

Au début, les émeutes sont émotionnelles et spontanées. Mais dans la durée, il y a des individus qui considèrent que c'est l'occasion de marquer un territoire en luttant contre les forces de l'ordre. Ces territoires de sécession s'autorégulent dans la violence. Plus qu'organisées, ces émeutes sont instrumentalisées. La force du phénomène actuel peut s'expliquer aussi pas le mimétisme de la violence : c'est la surenchère entre des jeunes qui veulent se prouver mutuellement qu'ils peuvent brûler des voitures. Là encore, il n'y a rien de surprenant.

La réponse policière depuis sept jours est-elle adaptée ?

Une question se pose : peut-on demander à une seule police d'être à la fois la police anti-émeutes, la police de proximité, la police de renseignement et la police de lutte contre le crime organisé ou le terrorisme ? C'est là qu'est le problème. La polyvalence ne permet pas de répondre efficacement à de tels événements. Il faut par ailleurs récupérer certaines forces de police en surnombre dans certaines régions pour les réaffecter là où il y a des besoins. Après 7 nuits d'émeutes, il y a en effet une tension sur les effectifs.

Depuis quelques années, la sécurité publique vit un moment difficile car elle a connu à la fin des années 90 son plus grand renouvellement d'effectifs de son histoire. La police a dû former entre 5000 et 7000 agents tous les ans. Ils n'ont pas tous eu le temps de bien connaître le terrain. Ainsi, une bonne connaissance de Clichy aurait permis d'éviter ce jet malencontreux d'une grenade sur une mosquée, un bâtiment trompeur qui ressemble à tout sauf à une mosquée.

Des élus réclament le retour d'une réelle police de proximité. En quoi est-elle importante ?

Lancée en 1997, la police de proximité était une réelle avancée mais elle n'a pas été pensée jusqu'au bout puisqu'on demandait au policier d'être polyvalent. C'est comme si dans une rédaction, un journaliste politique devait aussi couvrir le sport ou la gastronomie. C'est inefficace. En France, on n'a pas assez spécialisé la police. Du coup, la confusion générale qui a suivi le concept de police de proximité a donné lieu à son enterrement relatif. Il faut reprendre le dossier mais il faudrait prélever plusieurs milliers de policiers sur les forces mobiles pour en faire de réels policiers de proximité qui connaissent leur terrain.

http://www.lci.fr/news/france/0,,3259970-VU5WX0lEIDUy,00.html

 

Le bilan chiffré de la crise des banlieues
LE MONDE | 01.12.05 | 16h18 • Mis à jour le 01.12.05 | 16h18

Deux semaines après le retour au calme dans les banlieues françaises, le premier ministre, Dominique de Villepin, a tenté, mardi 29 novembre, de relativiser la gravité des incidents en les comparant aux émeutes de Los Angeles qui avaient fait 54 morts en 1992 : "En France, pendant ces deux semaines de troubles, personne n'est mort", a assuré le chef du gouvernement sur CNN, en réfutant le terme d'"émeutes" pour préférer celui de "troubles sociaux".

La déclaration de M. de Villepin ne tient pas compte des décès de deux adolescents à Clichy-sous-Bois, d'un habitant de Stains et d'un gardien de lycée à Trappes. En l'absence d'un bilan officiel complet, Le Monde a procédé à une première évaluation du coût humain et matériel des trois semaines qui ont embrasé les banlieues françaises.

Dans la période du 27 octobre au 17 novembre, trois personnes ont trouvé la mort. Outre les deux adolescents électrocutés dans une centrale EDF à Clichy-sous-Bois, le 27 octobre, parce qu'ils avaient voulu échapper à la police, un retraité qui surveillait les abords de sa résidence à Stains pour éviter de nouveaux incendies est également décédé le 7 novembre après une agression commise par un individu non identifié. Son épouse a toutefois assuré qu'elle privilégiait la thèse d'une vengeance non liée aux violences urbaines. Un quatrième décès a été enregistré le 21 novembre, après le retour officiel au calme : un gardien de lycée est mort asphyxié à Trappes alors qu'il tentait d'éteindre l'incendie de véhicules provoqué par le jet d'un cocktail Molotov. Une habitante a par ailleurs été grièvement blessée, le 2 novembre, à Sevran, après avoir été aspergée d'essence dans un bus. Elle a pu regagner son domicile après plusieurs jours d'hospitalisation.

200 MILLIONS D'EUROS

Le ministère de l'intérieur a communiqué au Monde, jeudi 1er décembre, des données précises en ce qui concerne les forces de l'ordre, dont l'engagement maximum a culminé dans la nuit du 13 au 14 novembre avec 11 500 policiers et gendarmes mobilisés. 217 fonctionnaires et militaires ont été blessés, dont 10 ont subi plus de dix jours d'interruption temporaire de travail. Les forces de l'ordre ont été la cible de tirs à balles réelles à Montfermeil, Grigny, Brest, La Courneuve et Saint-Denis.

Les données restent, en revanche, limitées pour les émeutiers alors que les CRS et les gendarmes ont fait un usage important de grenades lacrymogènes et de flash-balls. A Toulouse, un jeune homme de 21 ans a eu la main arrachée le 7 novembre par une grenade lacrymogène qu'il tentait de renvoyer, selon la police, sur les forces de l'ordre.

Cinq policiers ont, par ailleurs, été mis en examen pour avoir molesté le 7 novembre un jeune homme à La Courneuve. Pendant cette période, le SAMU de la Seine-Saint-Denis a, globalement, été moins sollicité que d'habitude, selon Christophe Prudhomme, responsable départemental de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUHF).

Les données disponibles sont un peu plus précises sur le plan matériel. La Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) estime que le coût global devrait représenter 200 millions d'euros, dont 23 millions pour les quelque 10 000 véhicules particuliers incendiés. La société d'assurance mutuelle des collectivités locales (SMACL) a évoqué le chiffre de 250 millions d'euros mais relativise aujourd'hui cette évaluation après les premiers passages des experts sur le terrain. Le ministère de l'intérieur évoque la dégradation ou l'incendie de 233 bâtiments publics et 74 bâtiments privés dans 300 communes.

L'essentiel du coût découle des dégradations commises sur des bâtiments publics. Avec l'aide de la police, l'éducation nationale a recensé 255 atteintes aux biens ou aux bâtiments liées aux violences urbaines dans les établissements scolaires du 1er au 16 novembre. A la Tour-du-Pin, par exemple, l'incendie d'une école devrait coûter 100 000 euros. A Brétigny-sur-Orge, la destruction de trois salles d'une école devrait représenter 500 000 euros.

Proportionnellement, ce sont les collèges qui ont signalé le plus de dégradations (92 touchés sur un total de 5 200), devant les lycées (49 sur 2 500) et les écoles (106 sur 51 000). Dans 20 % des cas environ, les dégradations ont perturbé le fonctionnement des classes.

De nombreux gymnases ont été pris pour cibles. Selon la SMACL, les dégâts représentent 6 millions d'euros à Noisy-le-Grand, 2 millions à Massy, 2 millions à Clichy-sous-Bois, 1,6 million à Villepinte, 1,85 million à Dunkerque, 2 millions au Mans.

La Poste a comptabilisé une centaine de véhicules incendiés et 51 établissements touchés, dont 6 qui ont dû temporairement fermer leurs portes. La RATP a recensé 140 véhicules caillassés, dont 10 bus et RER attaqués par des projectiles enflammés, pour un coût global de 5 millions d'euros. Selon le ministère de la culture et de la communication, une quinzaine de bibliothèques ont été dégradées.

Des entreprises ont subi des dégâts parfois considérables. Selon les premiers bilans provisoires de la chambre de commerce et d'industrie de Paris, qui regroupe des entreprises de la capitale et de la petite couronne, une centaine d'entreprises ont été directement touchées. Plus de 20 000 mètres carrés de locaux ont par exemple été détruits à Aulnay-sous-Bois dans l'incendie d'une concession Renault et d'une entreprise de textile.

Selon le ministère de l'intérieur, 18 lieux de culte ont subi des dommages. A Romans-sur-Isère, en particulier, un incendie a endommagé la toiture, l'autel et du mobilier de l'église Saint-Jean-d'Ars. Des engins incendiaires ont été lancés contre des mosquées de Carpentras, Montbéliard et Lyon en provoquant des dégâts limités. Deux synagogues ont été abîmées, à Garges-lès-Gonesse et Pierrefitte-sur-Seine. Une grenade lacrymogène a explosé, le 30 octobre, à proximité d'une mosquée de Clichy-sous-Bois, favorisant l'entrée de gaz à l'intérieur de la salle de prière.

Une partie de ces actes ont fait l'objet d'un traitement judiciaire. Selon le bilan du ministère de l'intérieur établi au 30 novembre, 4 770 interpellations ont été réalisées, dont près de la moitié après la fin des incidents, débouchant sur 4 402 gardes à vue. 763 individus ont été écroués, dont plus d'une centaine de mineurs.

Selon le ministère de la justice, 422 majeurs ont été condamnés en comparution immédiate. La justice a en outre condamné 45 majeurs à des peines autres que la prison ferme (sursis, travail d'intérêt général) et en a relaxé 59. Le ministère précise enfin que 152 personnes ont fait l'objet d'une convocation dans un délai de dix jours à deux mois. Sur les faits les plus graves, 135 informations judiciaires ont été ouvertes (incendies et violences volontaires...).

Luc Bronner et Pascal Ceaux
Article paru dans l'édition du 02.12.05

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-716334@51-704172,0.html

 

ÉMEUTES L'analyse d'une spécialiste de la sécurité dans les banlieues difficiles
Violences urbaines : les raisons de la contagion

La mort de deux adolescents éléctrocutés près d'un transformateur où ils s'étaient réfugiés pensant être poursuivis par la police, a mis le feu aux poudres. Dès lors, les émeutes se sont propagées en province, touchant environ 250 communes. Dans la nuit du 6 novembre seulement, plus de 1, 400 véhicules ont été incendiés et 395 personnes interpellées.

Les violences urbaines se sont aggravées de façon dramatique depuis leur origine dans la banlieue parisienne le 27 octobre dernier. C'est à cette date, à Clichy-sous-Bois, que Alors que durant les premiers jours d'émeutes, les incendiaires, armés de cocktails Molotov, se contentaient de diriger leur mécontentement vers les forces de l'ordre et de brûler des véhicules en stationnement, ils ont franchi un nouveau pallier de violence en s'attaquant à des lieux publics et à des commerces. À Nantes, Saint-Étienne, Allonnes (Sarthe), et La Tour-du-Pin (Isère), des écoles maternelles, ont été visées, tandis qu'à Grand-Charmont (Doubs), une menuiserie a été détruite et qu'à Nantes une boulangerie et un supermarché ont été brûlés. Un feu de voiture s'est propagé à une usine de robots ménagers de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), risquant de mettre ses 150 salariés au chômage technique. Des églises ont été endommagées, notamment à Lens (Pas-de-Calais), et à Sète (Hérault). Cette recrudescence du conflit s'est soldée par la mort le 7 novembre d'un sexagénaire qui avait reçu un coup violent alors qu'il se trouvait au pied de son immeuble, à Stains. Face à la persistence des troubles, le Premier ministre, Dominique de Villepin, a déclaré l'état d'urgence le 7 novembre et a autorisé les préfets à décréter un couvre-feu.

Elles ne devraient pourtant pas nous surprendre, car elles s'inscrivent dans le phénomène global de la violence urbaine, embryonnaire il y a trente ans, en expansion constante depuis. Dès 1990, les Renseignements généraux ont vu dans cette violence un fait majeur de société. Ils en ont pris la mesure. Les émeutes se produisaient dans des zones déjà marquées par une violence au quotidien exercée par des petits groupes de jeunes, pour la plupart français nés de parents immigrés, occupant l'espace public, animés par le nationalisme de quartier et la haine des institutions. Il suffisait de faire le relevé de cette violence au quotidien : le degré atteint sur un site permettait de prévoir la force de la réaction collective en cas de survenance de drame ou de rumeur éveillant la solidarité de voisinage. On pouvait ainsi établir une cartographie des zones à risques.

Le dispositif a permis de montrer la vivacité croissante du phénomène et de dégager quelques tendances d'évolution. En 1991, nous repérions une centaine de points chauds, parmi lesquels quarante, plus gravement atteints, étaient le théâtre de violences contre les policiers ; en octobre 2000, ils étaient respectivement plus de huit cents et plus de cent soixante. Les modes opératoires ont durci : usage d'armes à feu lors de rixes entre bandes, réserves de projectiles et de bouteilles incendiaires, banalisation des guets-apens contre la police, montée des trafics qui transforment les territoires en zones de non-droit. Dès 1995, avec l'apparition des portables, la violence a débordé des quartiers d'origine : incidents dans les centres-villes, affrontements armés entre bandes, raids contre des lycéens lors de manifestations. Depuis 1997, des émeutes ludiques, dénuées d'incident déclencheur, éclatent lors des fêtes de fin d'année et du 14 Juillet. Enfermés dans une même contre-culture des banlieues basée sur le ressentiment et une haine attisée par l'actualité internationale, les casseurs potentiels s'exercent au quotidien, cultivent la contestation de la République et de ses institutions, propagent et entretiennent des rumeurs et des stéréotypes, ressassent les analyses explicatives de la violence qui les exonèrent de toute responsabilité personnelle. Quand le signal de la fête est donné, que les derniers verrous ont sauté, quasiment assurés de l'impunité, ils se lancent à cœur joie dans une aventure d'autant plus excitante qu'elle a l'air martiale (ce qui n'est que fausse apparence, car les déploiements massifs de forces ont pour seul objectif de permettre des interventions dénuées de risques pour les émeutiers).

Les événements actuels s'inscrivent dans ces grandes tendances. Tous les quartiers qui s'embrasent étaient répertoriés comme difficiles. Aucune des exactions commises n'est nouvelle en soi. Ainsi que le laissaient augurer les émeutes ludiques, des violences éclatent ici et là simultanément, sans être déclenchées par un événement local. Toujours à l' œuvre, le nationalisme joue un rôle d'émulation.

D'un point de vue qualitatif, il n'y a donc rien de nouveau dans nos banlieues. On peut toutefois s'interroger sur les raisons de cette expansion forte, alors que les émeutes, depuis quelques années, restaient contenues, atteignaient rarement la gravité et la durée de celle de Vaulx-en-Velin d'octobre 1990. Vite étouffées, elles donnaient moins de prise aux
velléités d'imitation.

La malchance a joué : alors que, au bout de trois jours, l'émeute de Clichy-sous-Bois allait se calmer, des solidarités autres que purement territoriales se sont éveillées, après l'explosion d'une grenade lacrymogène devant l'entrée d'une salle de prière.
Le regain de nervosité a fait durer un phénomène qui était déjà abondamment présent à la télévision (seul média, avec l'Internet, qu'on puisse sérieusement accuser de favoriser la contagion). La médiatisation télévisuelle est montée en puissance. Elle a été très orientée sur le rappel de problèmes sociaux qui, pour être réels, ne devraient tout de même pas être mis dans la balance pour justifier des exactions criminelles en cours. Une fois encore, la télévision a joué le rôle de tam-tam battant le rappel des troupes. Par le passé, des envolées persistantes de violences disséminées ont ainsi eu lieu à la faveur de polémiques politiques ou de matraquages médiatiques, comme en juin 1995, lors d'une campagne pour les municipales, où les débats avaient été centrés sur la " préférence nationale " et sur l'insécurité, ou, en octobre 1997, après le colloque de Villepinte sur l'insécurité, prétexte à de nombreux reportages sur la violence.

Enfin et surtout, toujours avec l'appui de la télévision, les événements ont été instrumentalisés par les ennemis politiques du ministre de l'Intérieur, qui ont ressassé les termes de " racaille " et de " karcher ", sans jamais les replacer dans leur contexte (le décès d'un enfant victime d'un règlement de comptes entre bandes à La Courneuve), ni préciser qu'ils ne désignaient qu'une infime minorité de délinquants et non toute une population respectable. Ainsi caricaturés, ces mots sont devenus un cri de ralliement pour des casseurs potentiels déjà fascinés par des images de violence.

Le discours de l'excuse s'est alors trouvé survalorisé, les prises de position normatives ont été rejetées comme politiquement incorrectes et les policiers ont fait office de boucs émissaires. En optant pour la division face à la violence, plusieurs personnes bien placées pour faire passer des messages télévisuels forts ont ainsi pris le risque de souffler sur des braises qui auraient normalement dû s'éteindre plus rapidement.

Il reste que la violence urbaine poursuit son expansion et son travail de sape, provoquant la fuite des habitants qui en ont les moyens et accentuant les processus de ghettoïsation.

Par Lucienne BUI TRONG *

* Commissaire divisionnaire honoraire. Ancien chef de la section " Villes et banlieues " à la Direction centrale des renseignements généraux.

http://www.france-amerique.com/infos/actualite/actu1.html


La nouvelle Intifada française

Alexandre del Valle le 14/11/2005
Des milliers de voitures brûlées, des dizaines de policiers blessés, des pharmacies, des écoles primaires, des entreprises et des bus incendiés, des commissariats et même des églises attaqués…, sans oublier deux morts, dont un sauvagement assassiné par des dealers devant sa femme et ses enfants, puis une femme handicapée aspergée d’essence puis attaquée à coups de cocktails molotov lorsque son autobus était littéralement pris d’assaut par des émeutiers cagoulés…les derniers bilans des événements insurrectionnels survenus dans les banlieues début novembre 2005 sont accablants.

Mais le pire est à venir… Car en ayant attendu 10 jours avant de déclencher le couvre-feu, puis en répondant aux violences barbares fortement connotées de communautarisme islamique et de haine anti-française et anti-judéo-chrétienne par de nouveaux milliards et des déclarations compassionnelles concernant la « pauvreté des banlieues » et les « victimes de l’exclusion », les responsables politiques ont répondu clairement au test qui a été lancé par les émeutiers : « ils ont cédé, donc la prochaine fois, on frappera encore plus fort… »

Loin de s’arrêter, le bilan s’alourdit chaque jour, le nombre de voitures brûlées ayant quadruplé depuis le déclenchement de ce qu’il faut bien nommer la « nouvelle Intifada française ». Une Intifada si difficile à enrayer par les pouvoirs publics - qui n’osent envoyer des renforts de l’armée ou des brigades spéciales pour mater tout net la rébellion - que l’on a d’autres solutions à présent que de solliciter les imams les plus intégristes de l’UOIF et de la FNMF pour calmer des émeutiers fedayin, majoritairement « musulmans », nous dit-on. Des jeunes français vaguement musulmans en effet, et issus de l’immigration islamo-africaine, que les fossoyeurs de la République ont hélas toujours tenu à assigner à islamité. Des « Jeunes » que l’on a cru pendant près de quarante ans pouvoir intégrer en les traitant avec un paternalisme hypocrite quasi-néocolonial reposant sur le postulat terrible selon lequel « les Lumières ce n’est pas pour eux » : car ceux là mêmes qui ont lutté contre les Curés et les Rabins en France, ceux là même qui ont tenu à déchristianiser la France et sont même allés jusqu’à exiger de ne pas mentionner les origines judéo-chrétiennes de l’Europe dans le projet de Traité constitutionnel rejeté en mai 2005, ceux là même qui ont été les vigilants continuateurs anticléricaux du Ministère Combes et qui masquent leur inaction derrière des pseudo « Fronts républicains », ont été les premiers à livrer nos jeunes concitoyens français « musulmans » en pâture à des Imams.

En réalité, les « jeunes casseurs » en question sont tous sauf de bons Musulmans pratiquants. S’ils se sentent « Muslims », ce n’est pas parce qu’ils sont pieux mais parce qu’ils voient dans l’islamisme de type Intifada ou Black Muslim une idéologie virile et révolutionnaire justifiant leur nihilisme dévastateur et leur haine sans fondements. L’Islam n’est pour eux qu’une appartenance ethno-communautariste rassemblant la masse de rebelles réfractaires à l’Ordre républicain et « gaulois ». Mais cette dangereuse identification ne s’est pas opérée naturellement. Elle est l’aboutissement de décennies de travail de sape fomenté par les professionnels rouges de la « révolution permanente » qui sont parvenus à instaurer l’amalgame ravageur Pauvres-Banlieues-Fils d’immigrés=Musulmans=Victimes…

Comme Rachid Kaci l’a parfaitement expliqué dans sa République des Lâches (les Syrtes) et ainsi que je l’avais annoncé dans le Totalitarisme islamiste à l’assaut des démocraties (Les Syrtes), les organisations trotskistes et autres cellules révolutionnaires d’extrême gauche dressant maintes passerelles avec les temples du politiquement correct médiatique (Le Monde, le Monde diplomatique, etc) ont en effet démagogiquement distillé dans les « banlieues de l’Islam », au nom de l’« antiracisme » et de « l’intégration » une pensée victimiste visant à faire croire que les « Musulmans » dans leur ensemble seraient « persécutés » ; que nous serions tous des fils de tortionnaires en Algérie et que seule une insurrection générale et un retour au communautarisme islamique pourraient les « libérer » du carcan intolérant de la République « islamophobe » et « laïcarde ». D’où l’étrange alliance objective entre une partie de l’extrême gauche et nombre d’organisations islamistes les plus obscurantistes. Un front « rouge-vert » extrêmement dangereux qui a consisté à semer dans les consciences des jeunes fils d’immigrés musulmans le virus de la haine révolutionnaire, le venin du victimisme déresponsabilisant, la tentation insurrectionnelle tant glorifiée à travers la figure victimaire rebelle par excellence que sont les Fedayin palestiniens à la fois chers aux agitateurs d’extrême gauche et aux organisations islamistes. Tout cela multiplié par la spirale déresponsabilisante de l’Etat Providence-Assistanat-déclin de l’esprit civique qui, depuis Mai 68, a détrôné le sens de l’effort et le goût du Travail au profit d’un traitement social du chômage, de la « désobéissance civile » et des « politiques de la Ville ».

Il n’y a donc aucune surprise à constater que les quartiers qui s’en prennent violemment aux voitures-symboles de la société qui travaille, puis aux « Flics » et aux « Gaulois » sont les mêmes que ceux qui ont brûlé des écoles juives, attaqué des synagogues depuis la nouvelle Intifada Al Aqsa, et défié l’Ordre établi au nom d’une « révolte » dont ils comprennent à peine eux-mêmes les contours. Et ceux qui les soutiennent au nom du victimisme sont les mêmes que ceux qui orchestrent l’occupation des Eglises par les « Sans Papiers », en réalité des personnes violant la loi républicaine.

Il n’est pas non plus trop étonnant que les responsables de Gauche et d’extrême-gauche s’en prennent plus aux dérapages de Nicolas Sarkozy sur les « racailles » ou le « karsher » qu’aux actes de néo-barbarie commis par les Bandes encagoulées défiant la République et dont les premières victimes sont leurs propres familles et les habitants (majoritairement musulmans !) de leurs propres quartiers saccagés. Il est vrai que le Ministre de l’Intérieur, en réhabilitant le sens de l’effort et du Travail puis en qualifiant les voyous par leurs noms ne peut qu’être détesté et diabolisé par les Bobos cinquantenaires installés dans les médias et les partis de Gauche qui ont crié « CRS SS » en Mai 68 et n’ont jamais totalement rompu avec l’idéologie de la Révolution permanente tant que celle-ci ne dévaste pas leurs riches quartiers de la Rive gauche.

Toujours est-il que ce mélange victimiste-révolutionnaire rouge-vert est une véritable bombe qui risque d’emporter avec elle la République. Cette bombe est d’autant plus dangereuse et destructrice que si elle n’est pas d’origine proprement islamique, ses artificiers premiers que sont les révolutionnaires d’extrême-gauche pro-palestiniens lui ont donné une coloration « islamique ». Ceci n’a été que trop favorisé par la sur-médiatisation de l’Intifada palestinienne et l’identification « Gaza-Banlieues », elle-même liée à l’amalgame « Occident-Sioniste-Etat répressif ». Piégés par cette stratégie d’Intifada légitimée par un pseudo « antiracisme » et culpabilisés par la nouvelle arme mise au point par les Rouges-Verts qu’est l’accusation « d’islamophobie », nos leaders politiques croient pouvoir calmer la nouvelle Intifada française en courtisant les organisations islamiques. Aussi les préfets et les responsables politiques de la première République laïque du monde, reçoivent-ils maintenant en grande pompe les « autorités islamiques » en les investissant du rôle de l’appel au calme et du rétablissement de l’ordre « républicain »…

Extraordinaire ruse de l’Histoire, formidable manifestation d’hypocrisie, c’est désormais une organisation pro-palestinienne radicale et fondamentaliste, l’UOIF, qui a soutenu moralement les Jihads palestinien, tchétchène, bosniaque et adhère à une vision salafiste de l’Islam justifiant la peine de mort pour l’apostasie puis la lutte armée pour défendre l’islam (voir le livre de chevet de l’UOIF « Le licite et l’illicite »), qui appelle au calme et déclare que « le Coran condamne la violence »...

A l’instar du Premier Ministre turc Recep Taiyyp Erdogan qui estime que toutes « ces révoltes sont dues à la loi française républicaine qui interdit le voile » (sic), comme si nos concitoyens issus de l’immigration maghrébine étaient tous des pratiquants scrupuleux, l’UOIF et les principales organisations islamistes françaises et européennes ont en réalité exactement la même stratégie que celle de l’Ayatollah Khomeyni en 1979 ou le Hamas palestinien depuis 1996 : utiliser un climat insurrectionnel fomenté au départ par l’extrême gauche tiersmondiste et « anti-impérialiste » pour en prendre finalement le contrôle.

La conclusion est terrible mais bien réaliste : le fait que l’on courtise les Imams obscurantistes pour rétablir l’ordre post-républicain est à mettre en parallèle avec l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Turquie réislamisée d’Erdogan : la mentalité néo-munichoise progresse en France et en Europe, et l’esprit de la Dhimmitude fait son chemin, au plus grand bénéfice des pseudos « islamistes modérés » qui, en Turquie (AKP d’Erdogan) comme dans les Banlieues (Frères musulmans), ont beau jeu de dénoncer « l’islamophobie » et escomptent récupérer les nouvelles Intifada qui se profilent. Le postulat munichois est le même dans les deux cas : « mieux vaut avoir les islamistes avec soi que contre soi »…

Alexandre del Valle est vice président de la droite libre et auteur du Dilemme turc, (Les Syrtes).

http://www.alexandredelvalle.com/publications.php?id_art=218

Alain Finkielkraut : "L'illégitimité de la haine"

Propos recueillis par Alexis Lacroix

[15 novembre 2005]

Le philosophe Alain Finkielkraut (1) dresse un premier bilan des émeutes dans les banlieues.

LE FIGARO. - Quels enseignements politiques et intellectuels tirez-vous des émeutes ?

Alain FINKIELKRAUT. – Je suis terrifié par cette violence. Terrifié, mais pas étonné. Il y avait des signes avant-coureurs : la Marseillaise conspuée lors du match France-Algérie, les agressions de lycéens pendant une manifestation contre la loi Fillon. Il y avait aussi des livres avertisseurs comme celui d'Emmanuel Brenner, Les Territoires perdus de la République, ou le rapport de juin 2004 du ministère de l'Education nationale sur les signes et manifestations d'appartenance religieuse dans certains établissements scolaires des quartiers difficiles. On y apprenait notamment que l'enseignement de l'histoire était accusé par certains élèves et ceux qui les influencent de donner une vision judéo-chrétienne, déformée et partiale du monde. Les exemples abondent, du refus d'étudier l'édification des cathédrales ou d'entendre parler de l'existence de religions préislamiques, aux turbulences que provoque inévitablement l'évocation de la guerre d'Algérie ou du Moyen-Orient.

Certains ont été jusqu'à parler de «guerre civile». Qu'en pensez-vous ?

Il n'y a pas de guerre aujourd'hui entre les Français de souche et les autres, ni même entre la France des villes et celle des banlieues. Les premières cibles des violents sont les voisins. Et ce sont eux qui réclament une restauration de l'ordre républicain. La sympathie pour les vandales est beaucoup plus répandue chez les bobos écolos qui font du vélo à Paris que parmi les automobilistes pauvres du 9-3.

Y avait-il d'autres signes annonciateurs des émeutes ?

Voici un charmant couplet de rap : «La France est une garce, n'oublie pas de la baiser jusqu'à l'épuiser comme une salope, il faut la traiter, mec ! Moi, je pisse sur Napoléon et le général de Gaulle.»

Mais les excès de la sous-culture musicale ont-ils vraiment un lien de causalité avec ces violences ?

Si ceux qui mettent le feu aux services publics, qui lancent du haut des tours d'immeubles des boules de pétanque sur les policiers ou qui agressent les pompiers, avaient la même couleur de peau que les émeutiers de Rostock dans l'Allemagne réunifiée des années 90, l'indignation morale prévaudrait partout.

L'indignation morale prévaut quand même dans certains lieux !

Non, ce qui prévaut, c'est la compréhension, la dissolution du sentiment de l'injustifiable dans la recherche des causes. Dans l'hypothèse Rostock, politiques, intellectuels, journalistes, responsables d'associations, chercheurs en sciences sociales – tous crieraient comme un seul homme : «Le fascisme ne passera pas ! » Mais comme ces lanceurs de boules et de cocktails Molotov sont des Français d'origine africaine ou nord-africaine, l'explication étouffe l'indignation ou la retourne contre le gouvernement et l'inhospitalité nationale.

Au lieu d'être outragés par le scandale des écoles incendiées, on pontifie sur le désespoir des incendiaires. Au lieu d'entendre ce qu'ils disent – «Nique ta mère !», «Nique la police !», «Nique l'Etat !» –, on les écoute, c'est-à-dire que l'on convertit leurs appels à la haine en appels à l'aide et la vandalisation des établissements scolaires en demande d'éducation. A ce décryptage qui n'est que poudre aux yeux, il est urgent d'opposer une lecture littérale des événements.

Loin de la culture de l'excuse ?

Les casseurs ne réclament pas plus d'écoles, plus de crèches, plus de gymnases, plus d'autobus : ils les brûlent. Et ils s'acharnent ainsi contre les institutions et toutes les médiations, tous les détours, tous les délais qui s'interposent entre eux et les objets de leur désir. Enfants de la télécommande, ils veulent tout, tout de suite. Et ce tout, c'est la «thune», les marques vestimentaires et les «meufs». Paradoxe terminal : les ennemis de notre monde en sont aussi l'ultime caricature. Et ce qu'il faudrait pouvoir réinstaurer, c'est un autre système de valeurs, un autre rapport au temps. Mais ce pouvoir-là n'est pas au pouvoir des politiques.

La communication politique a-t-elle abdiqué devant la «vidéosphère» ?

La vulgarité sans fond des talk shows, la brutalité des jeux vidéos, l'éducation quotidienne à la simplification et à la méchanceté rigolarde par les «Guignols de l'info» – tout cela est hors de portée des hommes politiques. S'ils s'y opposaient d'ailleurs, les éditorialistes dénonceraient aussitôt une atteinte totalitaire à la liberté d'expression. Peut être le ministre de l'Intérieur – mais est-il le seul ? – a-t-il tendance à trop spectaculariser son action. Et le terme de «racaille» ne devrait pas faire partie du vocabulaire d'un responsable politique. Mais les mots manquent devant des gens qui, se sentant calomniés ou humiliés par cette épithète, réagissent en incendiant des écoles.

Mais ils sont frappés par des taux de chômage record !

Aujourd'hui où le coeur de l'humanisme ne bat plus pour l'école, mais pour ses incendiaires, nul ne semble se souvenir qu'on ne va pas en classe pour être embauché mais pour être enseigné. Le premier objectif de l'instruction, c'est l'instruction. Celle-ci, au demeurant, n'est jamais inutile. De même que la République doit reprendre ses «territoires perdus», de même la langue française doit reconquérir le parler banlieue, ce sabir simpliste, hargneux, pathétiquement hostile à la beauté et à la nuance. Ce n'est pas une condition suffisante pour obtenir un emploi, mais c'est une condition nécessaire.

Personne n'invente cependant les discriminations !

Dans cette affaire, il faut évidemment se garder de stigmatiser une population. Né polonais en France, je suis moi-même un immigré de la seconde génération, et je me sens résolument solidaire de tous les élèves noirs ou arabes qui, parce qu'ils préfèrent les diplômés aux dealers, se font persécuter, racketter, traiter de «bouffons». Ceux-là doivent être aidés ; la discrimination à l'embauche doit être inlassablement combattue ; il faut oeuvrer sans relâche à l'égalité des chances, aller chercher l'excellence dans les cités, détruire les grands ensembles, désenclaver les banlieues. Pour autant, il serait naïf de s'imaginer que ces mesures mettront fin au vandalisme.

Comment pouvez-vous en être sûr ?

La violence actuelle n'est pas une réaction à l'injustice de la République, mais un gigantesque pogrome antirépublicain.

Cette violence ne serait donc pas une riposte à l'abandon des «territoires perdus» ?

Si ces territoires étaient laissés à l'abandon, il n'y aurait ni autobus, ni crèches, ni écoles, ni gymnases à brûler. Et ce qui est proprement insupportable, c'est de décerner aux auteurs de ces exploits le titre glorieux d'«indigènes de la République». Au lieu de cela, on aurait dû décréter l'illégitimité de la haine et leur faire honte, comme on fait honte, bien qu'ils soient aussi des cas sociaux, aux supporters qui vont dans les stades pour en découdre et qui poussent des grognements de singe chaque fois qu'un joueur noir a la balle. La brûlure de la honte est le commencement de la morale. La victimisation et l'héroïsation sont une invitation à la récidive.

L'expiation des crimes du colonialisme conduit-elle à l'embrasement des banlieues ?

Non, bien sûr. Mais à vouloir apaiser la haine en disant que la France est en effet haïssable et en inscrivant ce dégoût de soi dans l'enseignement, on se dirige nécessairement vers le pire. Ces révoltés révoltants poussent jusqu'à son paroxysme la tendance contemporaine à faire de l'homme non plus un obligé, mais un ayant droit. Et si l'école elle-même les encourage, alors c'est foutu.

Est-ce le modèle français d'intégration qui est en crise ?

On parle beaucoup de la faillite du modèle républicain d'intégration. C'est absurde. L'école républicaine est morte depuis longtemps. C'est le modèle post-républicain de la communauté éducative supersympa et immergée dans le social, qui prend l'eau. Modèle, hélas, indestructible car il se nourrit de ses fiascos. A chaque échec, il réagit par la surenchère. Et c'est reparti pour un tour : au mépris de la vérité, l'école française noiera donc demain la diversité des traites négrières dans l'océan de la bien-pensance anti-occidentale. On enseignera la colonisation non comme un phénomène historique terrible et ambigu, mais comme un crime contre l'humanité. Ainsi répondra-t-on au défi de l'intégration en hâtant la désintégration nationale.

(1) Dernier ouvrage publié : Nous autres, Modernes (Ellipses).

http://www.lefigaro.fr/debats/20051115.FIG0096.html?151006

 

Point de vue
Les feux de la haine, par André Glucksmann
LE MONDE | 21.11.05 | 15h22 • Mis à jour le 29.11.05 | 12h09

rûler des véhicules vides est un délit. Enflammer des bus pleins, vider sous les passagers des bidons d'essence et craquer une allumette est un crime. Faut-il être philosophe pour distinguer les violences contre les choses et la terreur contre les personnes ? Un seuil a été franchi. Voici venue l'heure du nihilisme. Il prend au sérieux un slogan jusqu'alors fantaisiste : "Nique tout !"

Les cas de cruauté ne soulèvent aucun sentiment d'horreur ni de répulsion chez les insurgés. Eux qui déplorent à juste titre le sort de deux jeunes électrocutés n'ont pas un mot, pas un regard pour les victimes et les morts qu'ils font. Comme si le cap du respect humain une fois franchi, la lutte à mort devenait règle.

Un incendie nihiliste n'épargne pas les incendiaires. C'est leurs quartiers qu'ils brûlent, les voitures de leurs voisins ou de leurs parents, les jardins d'enfants et les écoles de leurs frères et soeurs qu'ils saccagent. Ils font table rase de ce qui permet d'améliorer la vie, de se distraire, de communiquer ou trouver un emploi. Croit-on que les pyromanes ne s'aperçoivent pas qu'ils travaillent contre eux-mêmes ? S'acharneraient-ils par simple inadvertance à transformer en enfer des conditions de vie déjà difficiles ? Si les incendiaires ne sont pas des bombes humaines (ils prennent soin de leur sécurité corporelle), ils sont déjà socialement et existentiellement suicidaires et se construisent un avenir de décombres. "No future."

Haine de soi, haine des autres, haine du monde naviguent de conserve. En terrorisant l'entourage à coups de cocktails Molotov, en transformant les conduites de gaz en torchères, en oeuvrant à la destruction générale ("Ce soir, ce sera Bagdad" à Clichy-sous-Bois), on s'affirme. "Je brûle, donc je suis." Tout mouvement de contestation violente est en proie à ces tentations terroristes. Mais celles-ci triomphent quand la haine prend les commandes, quand les incendiaires définissent leur "force" par leur capacité de nuire, et elle seule. Dans les flammes qui dévorent le lieu de leur naissance, ils mirent leur puissance et fêtent l'assomption de leur virilité.

Comment désigner ces jeunes et moins jeunes incendiaires ? Un gosse de 10 ans lave la voiture familiale, c'est la Fête des pères. Il tombe sous une balle perdue. Sur les lieux du crime, le ministre de l'intérieur propose de nettoyer la cité "au Kärcher". Autre drame à Argenteuil, il parle de "racaille". Que n'a-t-il pas dit ! L'opposition se déchaîne, c'est normal. La presse aussi, ce qui l'est moins. Pour éviter de regarder le mal en face, on fait de la sémantique : le ministre aurait injurié l'ensemble des cités ! Quand les émeutes éclatent, le gouvernement enfonce le clou, pas mécontent de tenir un mouton noir responsable du chaos. Passons sur les intrigues très fin de règne.

Peut-on ou non user du terme "racaille" et d'autres quolibets non moins dépréciatifs ? Faut-il s'abstenir de toute stigmatisation des incendiaires sous prétexte que des innocents pourraient se sentir visés ? Le sacro-saint souci de ne pas susciter d'"amalgame" fait justement l'amalgame. Il suppose impossible de séparer le bon grain de l'ivraie, donc de distinguer la minorité de l'ensemble. La belle âme compatissante interdit de nommer un chat un chat et un incendiaire de véhicules habités un assassin potentiel. On confond ceux qui brûlent et ceux qui s'y refusent. On prend la partie pour le tout.

Les Trissotins moralisateurs ne veulent pas froisser les incendiaires, ainsi entament-ils une bataille grotesque sur les mots pour contourner la cruauté des faits. Certains, qui reprochent "racaille", écrivent quelques lignes plus loin : "barbares", "sauvages" ou "voyous". Le politique regrette les termes "discriminants" et se réfugie dans le vocabulaire homologué : "délinquants". Tant pis pour la présomption d'innocence. Voilà l'émeutier coupable avant d'être jugé. La confusion atteint des sommets dans le vocabulaire neutre : les "jeunes" incendient, les "jeunes" tirent à balles réelles, pour conclure : les jeunes sont en colère. Les incendiaires sont jeunes (sans guillemets) parmi les jeunes, jeunes comme tous les jeunes. Pour éviter l'amalgame, on le chauffe à blanc ? Il faut juger chacun sur ses actes et non sur sa génération ou son origine ethnique. Jeune ou vieux, un voyou qui terrorise est un voyou. Le discriminant infamant refuse de confondre classe d'âge ou lieu d'habitation et comportement criminel. Le dernier mot est à Diziz la Peste, le célèbre rappeur : "Asperger d'essence un handicapé, c'est parce que t'as un malaise ou t'as pas de boulot ? Non, t'es qu'une merde, c'est tout !"

Pourquoi euphémiser des actes délictueux ? Serait-ce par crainte de reconnaître en eux un peu de nous-mêmes ? Le diagnostic tombe tous azimuts : échec de l'intégration. Et si c'était exactement le contraire ? Les immigrés de première génération ne mettaient pas le feu à leurs bidonvilles autrement sordides. Leurs enfants sont français et se conduisent en Français, y compris quand, avec d'autres Français "de souche", ils ont l'allumette facile. Ils ne sont pas, ce qu'on leur fait croire par racisme compassionnel, les damnés de la terre. L'embrasement des banlieues est l'indice d'une intégration aboutie : tout dépend de comment et à quoi on s'intègre.

Quand les experts auscultent les "échecs" des "modèles" français ou américain, ils mesurent une dure réalité à l'aune d'une intégration idéale qui n'a lieu nulle part. On rêve d'absorber des éléments extérieurs en les diluant dans une communauté nationale harmonieuse et pacifiée. Tel ne fut jamais le cas. Les immigrants s'intégraient dans la douleur et dans le drame, lorsque les conflits qui divisaient la France devenaient les leurs. Les immigrants n'entraient pas dans une cité consensuelle et paradisiaque, mais toujours divisée. Ils se révélaient français à part entière en prenant parti pour un camp contre un autre, quitte à se faire agonir comme "étrangers".

En France comme aux Etats-Unis, l'intégration est contestatrice et conflictuelle. Si nul ne met en doute la "francité" des paysans qui font valoir leur volonté sans hésiter sur la violence des moyens, il faut reconnaître une vertu proprement française aux cocktails Molotov des banlieues.

C'est en France que les incendiaires nihilistes apprennent qu'être fort, c'est nuire. Plus tu casses, plus tu comptes. La France, de droite comme de gauche, gagnerait à se contempler dans le miroir que lui tendent les boutefeux.

Qui prétend gouverner l'Europe en toute minorité, quitte à déclarer aux pays qui s'émancipent de leur maître russe qu'ils n'ont qu'un droit, c'est celui de se taire ? Qui vote à 55 % contre l'Europe et mêle son bulletin avec ceux des extrêmes et des racistes ? Qui prend le risque de démolir cinquante années d'efforts ? Qui se dit prêt à faire capoter l'OMC et se moque, au nom de nos 2 % de paysans, de l'immense misère africaine ? La diplomatie française se comporte dans les rapports internationaux comme s'il s'agissait de purs rapports de nuisance. Hier elle est au mieux avec Saddam, aujourd'hui avec Poutine. Elle traite à l'occasion de "résistants" les égorgeurs de Bagdad.

Pareille option nihiliste exerce ses ravages à l'intérieur. Les exemples de chantage abondent. Les zones de non-droit font tâche d'huile dans la France d'en haut comme dans celle d'en bas. Nos banlieues sont tout à fait françaises. Trop facile de stigmatiser l'étranger. Les incendiaires sont bien de chez nous. Ils sont citoyens d'un pays où soufflent des vents de haine.

André Glucksmann est philosophe et écrivain. Son dernier ouvrage : Le discours de la haine (éd. Plon 2004, 234 p. 18 euros).


ANDRÉ GLUCKSMANN
Article paru dans l'édition du 22.11.05

 

Idées de France, Emeutes en France, http://www.ideesdefrance.fr/Emeutes-en-France.html

 

Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy
Sur l'explosion des banlieues

Rien n'arrêtera le mouvement. Je ne dis pas qu'il ne s'arrêtera pas, évidemment. Mais je dis qu'aucun geste, aucune idée, aucune politique à court ou long terme, n'auront plus, en soi, par enchantement, le prodigieux pouvoir de casser une spirale qui devra sans doute, d'abord, aller au bout de sa logique. Physique des corps. Energie noire de la haine pure. Tourbillon nihiliste d'une violence sans signification, sans projet, et qui s'enivre de son propre spectacle répercuté, de ville en ville, par les télévisions elles-mêmes fascinées. Ce n'est pas la guerre, non. Contrairement à ce dont voudraient nous convaincre ceux qui, dans ce pays, ont intérêt au discours de la guerre (en gros : l'extrême droite, l'extrême gauche, les islamistes), ce n'est pas, grâce au ciel, d'une Intifida aux couleurs de la France qu'il s'agit. Mais c'est un processus inédit, sûrement. C'est un groupe en fusion au sens quasi sartrien. Et c'est un groupe en fusion nouvelle manière, avec portables, échange de SMS, unités mobiles, mouvements browniens d'une colère qui, quand elle aura fini de cibler l'école et le gymnase du quartier, quand elle aura brûlé ou tenté de brûler jusqu'au dernier bâtiment représentatif de la France et de l'Etat de droit, s'en prendra au voisin, au copain, à soi-même - c'est la voiture de leur propre père que les vandales iront, à la fin des fins, chercher pour la brûler. Cela s'arrêtera, donc. Cela s'arrêtera, forcément, à un moment. Mais il faudra d'abord, pour cela, que ce Téléthon de la rage, ce rigodon suicidaire et sans mémoire, cette fusion du désespoir et de la barbarie aillent au bout de leur propre ivresse et de leur jouissance autiste.

Rien à faire, alors ? Dire que le mouvement ira au bout de sa mécanique signifie-t-il qu'il faille se croiser les bras et attendre ? Non, bien entendu. Surtout pas. Et, sans même parler de l'inévitable remise à plat de notre entière politique de la ville, sans parler de ce fameux « modèle français d'intégration » dont nous étions si fiers et qui est en train de voler en éclats, il est clair que l'Etat républicain a des tâches urgentes, immédiates - à commencer par ces tâches de police, c'est-à-dire de protection des biens et des personnes, dont je trouve, par parenthèse, et à l'heure (lundi matin) où j'écris, qu'il s'acquitte plutôt moins mal que ne le disent les donneurs de leçons. Il y a eu des dérapages verbaux, c'est vrai (Kärcher, racaille et compagnie - ces autres mots de la haine dont on s'honorerait de s'excuser). Il y a eu d'inadmissibles bavures (cette grenade lacrymogène dans la mosquée de Clichy-sous-Bois dont j'aurais voulu qu'elle fasse autant scandale que la profanation d'une église ou d'une synagogue). Mais de là à renvoyer dos à dos policiers et émeutiers, de là à dire que la police française d'aujourd'hui serait si profondément lepénisée que trois jeunes de Clichy-sous-Bois ont préféré le risque de s'électrocuter à celui de tomber entre ses mains, il y a un pas que, pour ma part, je ne franchirai pas. En 1968 aussi, après tout, on avait la psychose de la-charge-policière-à-laquelle-il-fallait-échapper. On n'était pas jeune chômeur fils d'immigrés mais étudiant, lettré, savant, etc., et l'on vivait dans la même illusion que, pour ne pas tomber entre les pattes des abominables gendarmes mobiles, mieux valait, non pas s'enfermer dans un générateur, mais se noyer comme Gilles Tautin, à Flins. Alors, assez de l'imbécile « CRS SS » ! Assez de démagogie et de polémiques politiciennes ! La situation est bien assez dramatique pour que ne s'y ajoutent pas des petites querelles d'appareils et de personnes.

D'autant que le véritable enjeu, pour l'heure, est un enjeu de médiation et de parole. Oh ! pas la parole politique au sens étroit. Pas ces conseils des ministres exceptionnels dont se gargarisent les commentateurs (comme si le seul fait que des ministres se rencontrent, et se parlent, était un événement colossal !). Non. L'autre parole. Celle qu'attendent ces jeunes qui ne veulent plus s'entendre traiter d'enfants d'immigrés alors qu'ils sont, tout simplement, français. Celle qui dira, non la rancune et la méfiance, mais l'égalité, la citoyenneté, la considération et, comme ils disent, le respect. Celle qui, en d'autres termes encore, saura dire d'une même voix, d'un même souffle, le deuil de Zyed et Bouna, les brûlés vifs du transformateur de Clichy-sous-Bois, et celui de Jean-Claude Irvoas, battu à mort, devant sa femme et sa fille, parce qu'il photographiait un réverbère. Qui saura la faire entendre, cette parole ? Qui pourra, en quelques jours, trouver ces mots de concorde que l'on espère depuis vingt ans ? Les maires, ces hussards noirs des banlieues ? Les dirigeants d'associations, si cruellement privés de moyens ? Un homme politique, de droite ou de gauche peu importe, mais mieux inspiré que le chef de l'Etat, l'autre dimanche, au sortir de son conseil de sécurité intérieure ? Telle est la question, oui. Telle est la condition pour que se renoue, dans les territoires perdus de la République, quelque chose qui ressemblera, un jour, à un lien social. L'autre branche de l'alternative est claire. On en a eu, ces jours derniers, un avant-goût et, pour un pays laïque, ce serait un aveu d'échec définitif : le transfert aux responsables des mosquées de la tâche de maintenir l'ordre et de prêcher la paix.

© le point 10/11/05 - N°1730 - Page 186 - 870 mots

http://www.lepoint.fr/edito/document.html?did=170503

 

L'Etat sauvage

Par Liberté Avenir, jeudi 10 novembre 2005 à 22:47 :: Débats :: #74 :: rss

Editorial d'Alain MADELIN
http://www.cerclesliberaux.com
" La lettre des cercles libéraux du 4 novembre 2005"

Nos cités en crise ne sont que le miroir grossissant des échecs de « l’étatisme sauvage ».

Les violences émeutières et festives de nos cités viennent de nous rappeler durement qu’une partie de la France et de notre jeunesse fait toujours « France à part ». Et que l’exigence politique va bien au-delà des seules questions de sécurité.

Pour éteindre l’incendie le gouvernement a aussitôt déversé des « canadairs » d’argent public : aides aux associations, augmentation des dotations de la solidarité urbaine, emplois jeunes... Sans doute ne pouvait-il - et même ne savait-il - faire autrement. Pourtant, les vraies solutions sont ailleurs.

Ces cités en marge et leurs «sauvageons» - comme les appelait Jean-Pierre Chevènement - ne sont pas les victimes des excès d’une politique libérale, mais le produit de décennies «d’étatisme sauvage».

Lors de la dernière élection présidentielle, au risque de décontenancer nombre de mes amis, j’avais donné la priorité aux solutions à apporter aux problèmes des cités. Il y avait à cela deux raisons, toujours d’actualité.

- La première, c’est que nous savons qu’une société de liberté, à laquelle les libéraux sont attachés, conduit forcément à des inégalités de résultats. Celles-ci ne sont acceptables que s’il existe une véritable égalité des chances, et que fonctionne l’ascenseur social.

- La seconde, c’est que les problèmes de ces cités ne sont que le miroir grossissant des échecs accumulés par l’Etat au fil des ans : l’emploi, le logement, l’urbanisme, la politique sociale, l’éducation et les difficultés rencontrées par l’Etat pour exercer ses vraies missions : la Sécurité, la Justice, la régulation de l’immigration...

Les solutions à ces problèmes nationaux exigent bien entendu des solutions libérales. Mais pour ces cités délaissées il y a « état d’urgence ». C’est pourquoi elles doivent être considérées comme prioritaires dans l’expérimentation de politiques nouvelles.

Il ne sert à rien de manier les grands mots : «Intégration républicain», «droits et devoir», «modèle français», «cohésion sociale». L’Etat a bien entendu un rôle à jouer dans ses fonctions régaliennes : Sécurité, Justice, régulation de l’immigration et du respect que doit inspirer l’Etat (pour être respecté, un Etat doit être respectable, la Justice égale pour tous et l’on ne dira jamais assez la désagrégation morale qu'ont provoqué dans nos banlieues certains scandales politiques et financiers).

Cependant, les maux concrets de nos cités s’appellent «école», «emploi», «logement».

ECOLE. Le premier échec de l’Etat dans ces quartiers difficiles, c’est l’échec de l’école et des zones d’éducation prioritaires. Proposer de baisser l’age d’apprentissage à 14 ans au lieu de 16 n’est pas une vraie réponse (d’autant qu’il existait déjà une possibilité de préapprentissage dés 14 ans). C’est même prendre le risque d’accroître l’image de relégation de l’apprentissage. En revanche, il est absolument nécessaire de diversifier l’offre scolaire pour les enfants en difficultés de ces cités. Ne disons pas qu’ils ne sont pas fait pour l’école, c’est l’école qui n’est pas faite pour eux.

Les solutions :

- Donner aux parents la liberté de choix de l’école de leurs enfants. Cette liberté de choix est d’ailleurs une revendication populaire refusée par une élite politique et syndicale qui sait très bien faire échapper ses enfants aux contraintes de la carte scolaire. En refusant aux autres parents la liberté de choix, elle assigne ainsi à résidence les enfants de cités ghettos dans des écoles ghettos.

- Offrir dans le même temps un statut d’autonomie aux établissements qui le souhaitent ou aux établissements nouveaux qui pourraient se créer ( les bonnes volontés sont nombreuses pour venir au secours de ces quartiers difficiles). Dotation forfaitaire, ouverture aux partenariats, mesure du résultat, grande liberté de moyens et d’adaptation aux réalités concrètes, tels sont les principaux traits de ce statut d’autonomie. Et faute de développer ce statut d’autonomie pour tous les établissements qu’on en permette au moins l’expérimentation – à l’instar de ce qu’ont fait les Anglais – aux quartiers en difficulté pour donner à leurs enfants en leur donnant la chance de meilleures écoles.

- Offrir aux enfants qui sont aujourd’hui les laissés pour compte du système scolaire, un capital éducatif de «deuxième chance » (qui capitalise ce qu’aurait été le coût d’une scolarité normale en leur offrant un droit tirage de « x heures de formation » ou « y points » d’éducation) pour des formations nouvelles dispensées dans de nouvelles écoles créées avec le concours des entreprises...

L’EMPLOI. Le second échec de l’Etat, c’est l’emploi. L’emploi reste le meilleur facteur d’intégration, le meilleur moyen de sortir d’une société d’assistanat généralisée qui enferme et détruit tant de familles aujourd’hui. Le retour au plein emploi est la meilleure des politiques sociales, celle qui change le rapport de force sur le marché du travail, réduit la précarité, pousse à l’augmentation des salaires, fait reculer la discrimination et remet en marche l’ascenseur social, Le plein emploi n’est pas une chimère, c’est une réalité autour de nous. Mais il exige, on le sait, une autre politique économique et de vigoureuses réformes libérales (ouverture à la concurrence des secteurs protégés, libéralisation du marché de travail...)
Sans attendre on peut déjà :

- Libérer à l’instar de nombreux pays (comme la Grande-Bretagne ou l’Allemagne) une offre de petites activités de la part des particuliers ou des entreprises, sans formalités et avec une franchise de charges ( jusqu’à par exemple 400 euros) pour permettre aux jeunes désœuvrés de ces cités de gagner l’argent de poche qui leur fait défaut sans être obligés de s’inscrire dans les circuits de l’économie souterraine.

- Encourager le travail indépendant et la création d’entreprise. Ces quartiers, ces communautés en crise contiennent des ressources soit en sommeil, soit engagées dans une économie souterraine. Sachons utiliser, positiver cette énergie insoupçonnée pour générer des activités économiques légitimes et permettre aux entreprenants d’entreprendre.

LOGEMENT. Le troisième échec de l’Etat, c’est bien entendu celui d’un urbanisme collectif ségrégatif et inhumain. Ces cités ghettos ne sont pas le fruit du hasard ou du marché. Ils sont le produit de politiques du logement interventionnistes qui ont mis en place un système de logement social par nature ségrégatif puisqu’il définit des catégories qui, en fonction de leurs ressources ont droit ou non à l’accès à ces logements.

Sur ces critères, on construit des quartiers, voire des villes entières. Ils étaient un espoir pour la France qui travaillait, ils sont devenus des ghettos avec le chômage et l’immigration mal maîtrisés. On a matraqué fiscalement les petits propriétaires de logements modestes qui étaient par nature pourvoyeur de logements sociaux qui assuraient une vraie mixité sociale. On les a remplacés par nos offices de logements collectifs, constructeurs de ces tours, qui ont enfermé et enferment encore tant de personnes dans l'assistance et dans la dépendance, et qu'il nous faut aujourd'hui détruire.

Au lieu de prêter aux organismes HLM, on aurait mieux fait de prêter aux familles pour leur permettre de devenir propriétaires de logements bon marché qu’aurait su créer un vrai marché du logement. Il faut aujourd’hui permettre l’accession à la propriété de leur logement à ceux qui en ont payé largement la valeur par leurs loyers versés depuis 20 ou 30 ans et dont les enfants disent, amers «Mon père n’est même pas propriétaire de son logement». Ceci exige, non pas une offre d’accession à la propriété logement par logement, mais de grandes opérations de restructuration avec des immeubles entiers d’accédants à la propriété dans des conditions financières qui tiennent largement compte des loyers déjà versés. Ceci exige aussi une réforme d’ensemble du marché immobilier afin d’abolir les barrières et cloisonnements qui entravent les possibilités d’acheter, de vendre et de revendre.

L’accession à la propriété est un facteur essentiel d’intégration. Elle offre aussi la possibilité de construire un capital pour faire face aux aléas de la vie et mobiliser des crédits pour entreprendre et assurer la réussite de ses enfants.

Ces quelques exemples montrent qu’il existe une autre politique, une autre approche que l’approche sociale, certes, parfois nécessaire, mais très largement insuffisante, si l’on veut ouvrir des chances nouvelles à celles et ceux qui aujourd’hui font «France à part».

Alain MADELIN

 

En banlieue, on brûle aussi des milliards...

Jacques Marseille

C'est la fin des bonnes intentions : il est temps de passer à l'action. Au lendemain des violences, des saccages et des incendies de voitures qui viennent d'éclater après la mort d'un jeune habitant des banlieues, le président de la République n'a pas mâché ses mots. Il s'est donné cinq ans pour « réussir la politique de la ville ». Le séminaire gouvernemental qui a accompagné cette annonce n'a pas lésiné sur les moyens. Le Premier ministre a organisé un véritable plan de bataille : il y aura vingt mesures pour « changer la ville » dans « quatre cents quartiers ». La solidarité entre les communes riches et les communes pauvres sera renforcée. Le budget de la Ville sera multiplié par cinq, de 1 milliard à 5 milliards... de francs !

De francs, en effet, car la scène que nous venons de décrire ne se déroule pas en 2005, mais en 1990, au lendemain des affrontements de Vaulx-en-Velin. Le président de la République se nomme François Mitterrand et le premier ministre, Michel Rocard.

Une « République plus ouverte et plus fraternelle ». En fait, ces grands ensembles construits à partir des années 50 ne sont pas devenus seulement les lieux symboles de la ségrégation sociale. Ils sont surtout les témoins de la faillite du « toujours plus de moyens ». Depuis 2000, l'Etat, les collectivités locales, la Caisse des dépôts et consignations et aussi l'Union européenne ont consacré à la « politique de la ville » 34 milliards d'euros. Pour le budget de 2006, Dominique de Villepin a décidé de puiser dans la « réserve » de 5 milliards d'euros, laissée à la discrétion du gouvernement, pour préparer des mesures qui feront la « République plus ouverte et plus fraternelle ».

Toujours plus pour toujours moins. Comme le démontrent les dérives de notre système de santé ou les médiocres performances de notre système éducatif et de recherche, ce ne sont pas les milliards déversés dans les banlieues qui résoudront leurs problèmes. Comme souvent, ce sont les Français qui le disent. Sondés par le CSA-Le Parisien trois mois après le début des violences urbaines, ils sont 82 % à estimer que les solutions apportées ne régleront pas les problèmes et 86 % à prédire que des événements semblables se reproduiront dans les mois à venir.

En fait, ce n'est pas à une crise des banlieues que nous avons assisté à la fin de 2005, mais à une crise de l'Etat dont les banlieues n'ont été finalement que le révélateur. Réaffirmer, par exemple, l'instauration de pénalités financières pour les municipalités qui ne respectent pas le seuil de 20 % de logements sociaux ne sert à rien. Fondamentalement, en effet, la ségrégation est un phénomène dont le principe profond se trouve non pas dans l'urbanisme ni dans la structure des logements offerts, mais dans l'intimité des peurs et des ambitions des familles qui les habitent. Comme l'a parfaitement démontré Eric Maurin (1), l'analyse du destin social des personnes ayant grandi dans des logements sociaux révèle qu'il n'y a aucune différence entre un quartier pauvre inséré dans une banlieue de classes moyennes et un quartier pauvre de centre-ville populaire. C'est dire que les milliards injectés dans les aides personnalisées au logement n'ont rien changé aux causes profondes de la ségrégation.

La faillite du modèle français. Mises en place par la gauche dans les années 80 pour augmenter l'effort de la nation en direction des écoles et des collèges des quartiers défavorisés, les ZEP (zones d'éducation prioritaire) ont également donné des résultats très décevants au regard de leur coût. C'est que, selon un travers bien français, l'éparpillement des subventions vers un trop grand nombre d'établissements, sans évaluer réellement les besoins de chacun d'eux, a été sans effet. Au total, les ressources allouées en moyenne à un élève de ZEP sont à peine de 8 à 10 % supérieures à celles allouées à un élève hors ZEP, alors qu'aux Pays-Bas les ressources allouées en moyenne à un élève issu des milieux défavorisés sont de 1,5 à 2 fois plus importantes que la moyenne.

C'est dire que, tant que nous n'aurons pas réellement pris conscience de la faillite du modèle français, les milliards déversés dans les banlieues connaîtront le même sort que les voitures qui y brûlent chaque soir
1. « Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social », d'Eric Maurin (Seuil, 2004).
© le point 02/02/06 - N°1742 - Page 68 - 705 mots

http://www.lepoint.fr/edito/document.html?did=173746

 

L'Express du 24/11/2005
Emeutes
Le rapport de police

par Jean-Marie Pontaut, Romain Rosso

L'Express a interrogé les différents responsables confrontés aux récentes violences urbaines. Récit et analyse

Un mois après le déclenchement des émeutes qui ont secoué la France, tous les chefs de service de la police (sécurité publique, CRS, police judiciaire, Renseignements généraux, DST) se sont réunis, lundi 21 novembre, pour valider la nouvelle stratégie mise en œuvre contre les fauteurs de troubles, et un bureau national contre les violences urbaines doit d'ailleurs se réunir vendredi 25 novembre. Ils racontent à L'Express comment ils ont vécu ces épisodes, les plus graves depuis 1968, et ce qu'ils en tirent comme leçons.

«La comparaison est peut-être audacieuse, mais, comme un chirurgien parle d'une belle opération, nous avons été confrontés à un "beau cas" en matière de sécurité, résume Michel Gaudin, directeur général de la police nationale. Un plan de lutte contre les violences urbaines avait été élaboré le 26 juillet. Nous avons dû l'accélérer en quelques jours, avec des résultats rapides.» Deux phénomènes ont frappé les policiers: la spontanéité des émeutes et leur propagation éclair. Plus de 9 000 véhicules (bus, voitures, motos) ont brûlé partout en France, et 96 bâtiments publics ont été détruits (bureaux de police et de poste, gymnases, écoles, crèches).

Au-delà des détériorations matérielles, le nombre et la violence des émeutiers ont surpris. «Chaque soir, des groupes de 200 jeunes en moyenne voulaient en découdre, souligne Philippe Laureau, directeur central de la sécurité publique. Comme à Evreux (Eure), où, lors du saccage du quartier de la Madeleine, une policière municipale a été gravement touchée au visage par une boule de pétanque.» 126 policiers ont été blessés. Plus dangereux: 11 tirs contre les forces de l'ordre ont été recensés, dont 2 à balle réelle.

«Cette violence éruptive s'est nourrie d'une émulation entre les émeutiers, qui se faisaient concurrence, note Pascal Mailhos, directeur des Renseignements généraux. D'ailleurs, la province est partie quand l'Ile-de-France ralentissait. Mais il n'existe aucune coalition entre les bandes, qui restent rivales et fixées sur leur territoire.» Aucun rôle des islamistes n'a été établi par la police, sinon quelques tentatives de récupération. Les plus radicaux, faisant l'objet d'une surveillance discrète, auraient même été plutôt gênés, voire mécontents. Les mouvements d'extrême gauche sont également restés à l'écart. Les blogs diffusés sur Internet étaient particulièrement surveillés, notamment par les RG. Certains étaient sans ambiguïté: en Seine-et-Marne, un blog reprochait au «secteur C 9» d'être «en retard» sur les autres…

Du coup, les policiers ont changé de tactique. Les premiers affrontements à Clichy-sous-Bois relevaient du face-à-face classique. «Nous avons vite décidé de ne plus entrer dans leur jeu et d'interpeller les auteurs, explique Christian Lambert, directeur des CRS. A partir du 4 novembre, nous avons constitué des petits groupes très mobiles, de deux à six fonctionnaires, capables d'encercler les incendiaires.» Dès lors, les policiers n'utilisent plus les armes conventionnelles du maintien de l'ordre, comme les grenades lacrymogènes - 822 ont été tirées, dont la moitié le seul premier jour. Des lanceurs de flashballs et des fusils «lance-bliniz» - projectiles qui ressemblent à des galettes - les remplacent. Deux pistolets à peinture, qui propulsent une encre verte, sont également testés.

Le Caméscope et l'appareil photo se révèlent des armes plus redoutables encore. A l'instar de ce qu'ils ont appliqué en Corse pour identifier les cagoulés grâce à leurs vêtements, les CRS filment les événements avant même que les troubles commencent. Les images sont ensuite transmises aux RG et à la PJ. De même, la police technique et scientifique relèvera 1 230 traces d'ADN ou d'empreintes digitales en vue d'identification.

Ni organisation ni revendication
Près de 3 000 individus seront ainsi arrêtés, le plus jeune âgé de 10 ans… Au total, 640 personnes ont été écrouées, dont une centaine de mineurs. «80 % étaient connus des services de police pour des affaires de droit commun, relève Michel Gaudin. Ils n'ont ni organisation ni revendication. Ils cassent pour casser. Leur explication: faire comme les autres. Ce ne sont donc pas seulement des jeunes en colère, mais surtout des réitérants.»

Plusieurs investigations de la police judiciaire l'ont confirmé. Ainsi, à Evry, le 5 novembre, lorsque la PJ a enquêté sur une petite usine de fabrication de cocktails Molotov - 200 bouteilles étaient stockées dans un ancien local de la police municipale. Six jeunes et un «grand frère», au palmarès fourni (violences volontaires, vol avec arme blanche, dégradations de biens privés, etc.) ont été interpellés. Dans le disque dur de leur ordinateur, la police a découvert des photos et des vidéos, dans lesquelles ces casseurs miment des scènes de guérilla urbaine, tirant dans des parkings et posant, armes à la main, devant des BMW volées. A Evreux, chez les 11 personnes interpellées après les émeutes, la police a saisi des pistolets à plombs, des cagoules et même des sabres!

Cette stratégie d'interpellation va continuer. Une cellule opérationnelle, réunissant la sécurité publique, les RG et la PJ, s'est d'ailleurs constituée afin de mettre en commun tous les éléments recueillis lors des émeutes. «J'ai demandé à ce que les affaires en lien avec les cités soient traitées en priorité, indique Martine Monteil, directrice de la police judiciaire. Certains jeunes débutent en effet par les violences urbaines avant de monter l'échelle du banditisme, devenant dealers puis braqueurs. La plupart des 900 dossiers de vol et recel et des 150 affaires de stupéfiants traités par les GIR [groupes d'intervention régionaux] concernent les cités.» Pendant les événements, la PJ a ainsi arrêté un convoi de 600 kilos de résine de cannabis en provenance d'Espagne, destinés à alimenter les réseaux des banlieues de Lyon, de Saint-Etienne et de Besançon. Autre exemple: quatre braqueurs d'une vingtaine d'années, originaires de cités, ont été interpellés à Meaux après avoir emporté 10 800 euros de la caisse d'un supermarché. Ils sont soupçonnés d'être impliqués dans quatre autres vols à main armée.

Dressant le bilan des émeutes, les préfets ont décrété des plans de sécurisation concernant des zones sensibles dans 20 départements. Les CRS y seront désormais visibles une partie de la nuit. «Il va falloir s'habituer à voir du bleu dans les quartiers, assure Christian Lambert. Ces événements ont permis à la police de réoccuper le terrain perdu. Nous ne le quitterons plus.» Mais la police a conscience que la tâche sera ardue. Et qu'une étincelle peut rallumer l'incendie.

 

Selon les RG, les émeutes en banlieue n'étaient pas le fait de bandes organisées
LEMONDE.FR | 07.12.05 | 11h26 • Mis à jour le 07.12.05 | 11h32

Une "condition sociale d'exclus de la société française pour les émeutiers", telle serait la raison des violences urbaines des dernières semaines. C'est en tout cas l'analyse qu'en fait la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) dans un rapport confidentiel daté du 23 novembre dont le contenu du document a été révélé ce matin, mercredi 7 décembre, par Le Parisien-Aujourd'hui en France.

Selon les renseignements généraux (RG), l'origine ethnique ou géographique des casseurs ne serait pas le principal ressort des auteurs des violences. La France aurait progressivement basculé de la "guérilla urbaine" , avec les premiers incidents liés à la mort des deux jeunes de Clichy-sous-Bois, à l'"insurrection urbaine" et à un "mouvement de révolte populaire".

UN MOUVEMENT NON ORGANISÉ

Contrairement aux déclarations de nombreux responsables politiques, les RG expliquent que le mouvement de révolte n'a été ni organisé ni manipulé par des groupes, qu'ils soient mafieux ou islamistes. Les RG affirment ainsi qu'aucune "solidarité n'a été observée entre les cités". La mouvance d'extrême gauche n'a pas vu "venir le coup et fulmine de ne pas avoir été à l'origine d'un tel mouvement", les islamistes n'ont eu "aucun rôle dans le déclenchement des violences et dans leur expansion". Au contraire, écrivent les policiers, ces derniers "avaient tout intérêt à un retour rapide au calme pour éviter les amalgames". Par contre, la DCRG constate que"toutes ces mouvances, y compris l'extrême droite, essaient désormais de récupérer et d'engranger les retombées de ces événements".

Le rapport explique que "les jeunes des quartiers sensibles se sentent pénalisés par leur pauvreté, la couleur de leur peau et leurs noms". Ils sont handicapés par "l'absence de perspectives dans la société française". Le rapport décrit ainsi l'énorme désespérance sociale des jeunes, ainsi "qu'une perte de confiance totale envers la République".

Ce rapport est très critique envers les différentes politiques de la ville. Il dénonce notamment un manque criant d'intégration: "La France s'est montrée plus préocuppée par la montée de l'islamisme radical et du terrorisme religieux, et a négligé le problème complexe des banlieues."

Avec AFP et "Le Parisien"

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-718347@51-704172,0.html

 

Emeutes, violences urbaines dans les banlieues ...
Entretien avec Xavier Raufer
mercredi 9 novembre 2005.
X. Raufer est criminologue, chargé de cours à l’institut de criminologie de l’université Paris II, directeur des études du département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines et auteur de nombreux ouvrages, dont « l’énigme Al-QAIDA » (2005) aux éditions JC Lattès, « Sur la violence sociale » (1983) édition Pauvert Alésia, et le Que Sais-Je « Violences et insécurité urbaines » qui vient d’être réactualisé.

- Depuis plusieurs jours, certaines banlieues françaises sont le théâtre d’affrontements et de véritables scènes de guérilla urbaine. Ce phénomène semble revenir en France de manière cyclique. Comment expliquez-vous cela ?

Effectivement, ce n’est pas d’hier que ces phénomènes sont apparus en France. J’ai, d’ailleurs écrit un livre sur le sujet dès 1983, « Sur les violences sociales ». C’est une situation durable qui s’est enkystée faute de solution de fond. Elle est au mieux temporairement contrôlée, et ce depuis 20 ans. Cette situation est unique en Europe. Si dans les pays voisins, la presse publie, ces derniers jours, des articles « abasourdis », c’est qu’ils ne peuvent pas comprendre ce phénomène qui n’existe pas chez eux. La Belgique avait, certes, connu de semblables événements, mais le problème a été résolu dans l’année. Le fait que cela dure depuis plus de vingt ans fait de la France un cas unique.

- Les témoignages de la police font état de bandes très organisées, souvent composée de mineurs et quelquefois puissamment armées. Comment se fait-il qu’il soit aussi facile de trouver des armes en banlieue ?

L’origine du problème remonte à près de cinquante ans. A la fin des années cinquante et au cours des années 60, une partie de la population française a bougé. Auparavant, les Français vivaient soit à la campagne, soit dans les villes. Au moment des trente glorieuses, une grande partie de la population française s’est déplacée vers la périphérie des villes. Les Français ont quitté la campagne pour trouver du travail et se sont installés dans les périphéries, d’autres ont quitté le centre ville pour des raisons liées au cadre de vie. Ils pensaient trouver plus de place et de verdure à la périphérie des villes. Toujours pendant les trente glorieuses, afin de répondre aux besoins de l’économie, la France a fait venir de nombreux immigrés. En tant que criminologue, je ne me prononce pas sur la pertinence économique de ce flux migratoire, mais ce qui est sûr, c’est qu’il fallait éviter d’entasser tout ce monde dans des banlieues et les oublier là pendant plus de vingt ans. Or rien n’a été entrepris en dehors de mesures cosmétiques de politique de la ville.

Pendant 20 à 30 ans, des français et des immigrés s’installent donc dans la périphérie des villes, sans que rien ne bouge au niveau administratif, notamment en matière de déploiement des forces de l’ordre. La police s’occupe des centres ville, la gendarmerie des campagnes, et la périphérie urbaine reste à ce niveau un « noman’s land ». Le dernier plan d’implantation des commissariats sur le territoire français date de 1942. Depuis, chaque projet de redistribution s’est heurté à la volonté des syndicats. Personne n’a osé passer outre. Les gouvernements se sont ainsi passés la « patate chaude » durant toutes ces années. Du coup, « La France périurbaine n’est pas policée ». Quand Napoléon a tissé un maillage territorial en implantant sur l’ensemble du territoire des gendarmeries, la criminalité s’est effondrée. Or, il est à peine exagéré de dire que pour quelqu’un qui est né dans les années soixante et qui vivait en banlieue, pendant quinze ans, il avait plus de chances de voir une soucoupe volante qu’un uniforme.

Aujourd’hui, il est encore, en été, plus facile de trouver de l’héroïne qu’une boulangerie ouverte dans certains quartiers. Plusieurs générations n’ont pas été policées. Elles oscillent entre l’apathie, que certains hommes politiques analysent comme des périodes de calme où les problèmes semblent résolus et des périodes d’embrasement émotionnel, où les banlieues s’enflamment en réaction à un événement comme la mort d’un jeune, même si elle est totalement accidentelle, et enfin des périodes des révoltes encadrées par des bandes comme cela se déroule en ce moment.

Depuis 1999, avec l’effondrement de Milosevic, qui avait au moins le mérite de constituer un barrage au trafic venu des Balkans, certains verrous ont sauté. Ainsi, les armes que l’on trouve en banlieues viennent très souvent des Balkans. L’arme qui a servi, par exemple, à tuer Théo Van Gogh aux Pays-Bas avaient été fournie aux islamistes en Bosnie.

Dans ce contexte, tous les projets concernant l’égalité des chances ne pourront être opérationnels qu’au moment ou les entreprises qui décident de s’implanter dans ces quartiers auront l’assurance que leurs investissements ne partiront pas en fumée.

- Pour résoudre le problème des banlieues, faut-il poursuivre le traitement social ?

Evidemment oui ! Mais le rétablissement de la sécurité est un préalable. Quand quelqu’un a 40 ° de fièvre, avant de l’emmener chez un maquilleur pour qu’il ait meilleure mine, il faut faire baisser durablement la fièvre. Dans les banlieues, la présence policière doit, elle aussi, se penser dans la durée. Les incursions policières ponctuelles ne permettront pas de faire durablement tomber la fièvre. Après une semaine, les trafics reprennent et l’économie souterraine prospère de nouveau.

En 1996, j’ai rencontré un dealer de haschich, c’était un demi-grossiste. Il fournissait environ 50 kg de hasch par semaine, cela lui permettait de gagner jusqu’à 7 millions de francs par an, le tout en liquide et donc non imposable.

Comment alors expliquer qu’il est préférable pour lui de poursuivre des études, ou d’accepter de travailler pour le SMIC ? Aucun programme en faveur de « l’égalité des chances » ne pourra être efficace avant que l’on ait mis fin au mirage de cette économie parallèle.

- Que pensez-vous de la fatwa lancée par l’UOIF pour appeler au calme, cette volonté de communautariser le problème n’est -elle pas à terme dangereuse ?

Ce n’est qu’un pur affichage médiatique. L’UOIF ne contrôle pas ces bandes. Les casseurs et les trafiquants sont loin d’être des islamistes, ce qu’ils désirent c’est gagner beaucoup d’argent, conduire de grosses voitures, et se fournir en drogue. Ils fument du hasch et se saoulent ! Ils sont loin des moines soldats !

En Afghanistan, j’ai rencontré de véritables islamistes. Ils sont très différents. Le dogmatisme est finalement une histoire d’intellectuel. A ce propos, il est bon de rappeler que Ben Laden n’a jamais vécu en banlieue, loin de là !

http://www.uni.asso.fr/article.php3?id_article=431

 

Le nihilisme culturel imprègne les émeutes banlieusardes
Par Robert Redeker
[28 novembre 2005]

Les événements enflammant les banlieues françaises en cet automne sont d'un genre inédit dans notre histoire sociale et politique. Un aspect nouveau les singularise : une violence aveugle venant semer la désolation dans des cités populaires, alors que les mouvements sociaux ont toujours fait preuve, historiquement, d'une violence discriminée. La violence s'est déchaînée contre la culture, écoles et bibliothèques ont été brûlées, comme en temps de barbarie alors que les mouvements de révolte, par le passé, reconnaissaient dans la culture un ordre des choses inviolable.

L'absence de sens caractérise ces événements. Nul discours ne les porte. Voyons-y les premières émeutes postdiscursives, sans discours théorique articulé apte à les justifier, à les placer dans une stratégie historique. La justification est venue des médias et des commentateurs, faisant dire à ces événements ce qu'ils ne disaient pas par eux-mêmes. Dans les médias, la révolte des banlieues, comme elle était muette, a été ventriloquée. Elle a été commentée en voix off, ou, en sous-titrage sur un film muet. On a ainsi accompagné un mouvement aussi violent que muet du discours habituellement tenu par les révoltes sociopolitiques. Ce silence de la théorie et des revendications dans le fracas des nuits d'affrontements est pourtant une des données les plus stupéfiantes de ce mouvement.

Il s'agit également des premières émeutes postprogressistes, n'exprimant pas l'attente d'une société parfaite, d'un avenir radieux où toutes les causes de déchirements entre les hommes auraient été effacées. Elles sont les premières émeutes se manifestant, en France, dans un «dehors» absolu par rapport au grand récit progressiste dont le registre s'ouvrit avec les Lumières. Cette déferlante de violence se situe à l'extérieur de ce que l'histoire de notre pays connut en guise d'extrémisme politique. Même les attentats anarchistes de la fin du XIXe siècle – la sanguinaire «propagande par les faits» (Ravachol) – se voulaient explicitement une page de ce grand récit. La cité idéale figurait comme horizon paradoxal de ces actions meurtrières. Les attentats anarchistes continuaient, à leur repoussante façon, les Lumières.

La réponse en termes sociaux est vouée à l'échec dans la mesure où ces émeutes n'expriment aucun programme. Ce type de réponse fait écho non pas aux émeutiers mais au sous-titrage par lequel les médias accompagnèrent leurs forfaits. Les violences urbaines, au rebours de ce que la réponse sociale attendrait, s'en prennent avec une rage destructrice aux symboles de ces mêmes programmes sociaux : crèches, pompiers, ambulances, cabinets médicaux, cabinets dentaires, écoles et bibliothèques. La réponse sociale se formule dans le langage de l'imaginaire de l'État français, mais elle manque de prise sur l'imaginaire des émeutiers. La réponse sociale s'incruste dans une vision historique. Du coup, elle ne peut se révéler efficace qu'à la seule condition que les jeunes issus de l'immigration s'incorporent à l'histoire de France, finissant par admettre que l'histoire de France est, jusqu'au plus profond d'eux-mêmes, leur histoire. Autrement dit : que l'histoire, de nationale, devienne leur histoire personnelle.

L'incompréhension, par les jeunes de banlieue, de cet imaginaire national, et le déchaînement de violence appuyé sur cette incompréhension, trouve son explication dans la victoire de la conception sociologique de la culture sur sa conception philosophique. Pour la sociologie, servant de base à tous les travailleurs sociaux, médiateurs, intervenants en banlieue, «la» culture n'existe pas ; seules existent «les» cultures, toutes également légitimes. A force de marteler que «la» culture est oppression, élitisme, qu'une pièce de Shakespeare n'a pas plus de valeur qu'une chanson, et qu'un vers de Racine ne vaut pas mieux qu'un couscous, comment s'étonner qu'on brûle des bibliothèques ?

On ne cesse de dévaluer «la» culture (sens philosophique du mot) et de surévaluer, au nom du différentialisme, «les» cultures (sens sociologique), dans leur pluralité. Les travailleurs sociaux ne cessent, dans les banlieues, d'incriminer la France, au nom de l'anticolonialisme, de l'antiesclavagisme, et son histoire.

Ils ne cessent de rendre la France non désirable. Comment s'étonner de la non-intégration, alors que ces jeunes se sentent justifiés dans ce qu'ils sont, autorisés à refuser les règles de la citoyenneté puisque tout est légitimé ? Dans ce cadre, il devient impossible de poser des idéaux régulateurs : un modèle idéal de l'homme, un modèle idéal du citoyen. Les définitions de l'homme et du citoyen entrent, du fait du pluralisme culturel, en concurrence aux dépens des jeunes de banlieue, qui ne savent plus à quoi il faut essayer de ressembler puisqu'on leur a enseigné que tout se vaut. Le nihilisme est la situation d'égalisation des cultures dans laquelle le travail social enferme depuis trop longtemps les populations des banlieues.

Ce n'est pas la pauvreté, c'est-à-dire une situation sociale, qui engendre la violence anomique et insensée, mais le nihilisme, c'est-à-dire une construction culturelle. Par la faute d'un type d'intervention culturelle trop complaisant avec toutes les différences, les jeunes de banlieue ne disposent plus d'aucun concept du citoyen ou de l'homme pouvant faire office d'idéal régulateur. La disparition de ce type d'idéal, horizon reconnu et intériorisé par tous, est un résultat de la domination de la vision sociologique de culture – «les» cultures – sur la vision philosophique – «la» culture. La surévaluation des cultures, de toutes les cultures, et le fétichisme de la différence l'accompagnant, entraîne un effet inattendu : l'impossibilité, pour des populations issues de cultures étrangères, de s'amalgamer à la culture nationale et républicaine de la France. Caractérisées par l'absence de sens, les émeutes des banlieues s'expliquent avant tout par le nihilisme auquel a conduit une politique culturelle inspirée de la sociologie plutôt que de la philosophie.

* Philosophe, membre du comité de rédaction de la revue Les Temps modernes, auteur de : Le Progrès ou l'Opium de l'histoire (Pleins Feux).

http://www.lefigaro.fr/debats/20051128.FIG0038.html?070558

 

Les vraies raisons des émeutes

Un père de famille battu à mort sous les yeux de ses proches, une femme handicapée brûlée vive dans un bus, un gardien d’immeuble assassiné pour avoir osé éteindre une poubelle… Comment ne pas être frappé d’horreur par des actes aussi barbares et atroces ? Comment les journalistes bien-pensants peuvent-ils encore s’interroger sur l’emploi du mot « racaille » pour désigner des individus remplis de haine qui molestèrent, incendièrent, massacrèrent tout ce qui se trouve être différent d’eux ? Comment peut-on donner des excuses sociétales à des criminels qui abusent de la mansuétude de notre société pour porter le feu et le sang dans nombre de nos villes soumises à leur régime de terreur ?

Au-delà de l’émotion légitime qu’inspirent ces actes inqualifiables, il devient urgent de s’interroger sur les causes profondes de tant de violences. La situation est d’autant plus inquiétante que le phénomène des émeutes urbaines, apparu à Vaulx-en-Velin il y a plus de 20 ans, tend à se renforcer et à s’étendre d’année en année. Autrefois circonscrites aux banlieues des grandes villes industrielles, les émeutes touchent maintenant les villes moyennes. Après-demain, si nous ne faisons rien, la plus petite localité du fin fond de la campagne sera enflammée par des hordes de barbares sans foi ni loi.

Les émeutes urbaines représentent la face spectaculaire d’une profonde crise des banlieues. Délinquance multiple, emprise de la mafia, montée de l’islamisme, autant d’illustrations d’une crise qui reste à expliquer rationnellement. Aussi la question fondamentale est la suivante : quelles sont les raisons structurelles de ce fameux « malaise des banlieues » qui envahit périodiquement la Une des médias ?

Le chômage, un coupable idéal ?

Du sociologue à l’homme politique, tous s’accordent pour dénoncer le chômage comme le principal responsable de la crise. L’explication semble extrêmement convaincante : deux fois plus élevé que pour la moyenne nationale, le chômage touchant ces quartiers alimente la désespérance et l’oisiveté, les deux mères de toute violence. Les émeutiers, frappés de plein fouet par l’absence de perspectives professionnelles, n’auraient plus d’autre moyen que de lapider les forces de l’ordre pour exprimer leur malaise et leur souffrance.

La thèse du chômage à l’origine des violences semble idéale, à la nuance près que la moyenne d’âge des émeutiers tourne autour de… 16 ans. Or comment des mineurs encore peuvent-ils déjà souffrir du chômage, alors qu’ils ont seulement l’âge d’aller à l’école ? Par anticipation générationnelle ? Restons sérieux : si les mineurs sont les acteurs principaux de ces émeutes urbaines, cela signifie que le chômage est totalement étranger à cette crise.

Par ailleurs, si le chômage était directement responsable des émeutes qui secouent régulièrement nos banlieues, comment expliquer que nos centres-villes, où réside une proportion tout de même assez importante de chômeurs, ne connaissent absolument pas ce genre de phénomène ? La réalité, c’est que les émeutes urbaines sont typiques des banlieues, ou plus exactement des personnes qui y résident.

La misère urbaine, une invention de sociologue ?

Une autre explication prisée par les sociologues serait la misère urbaine qui caractériserait ces quartiers difficiles. Malheureusement, la notion de pauvreté est toujours relative à une moyenne nationale, ce qui signifie que toute explication par la pauvreté risque d’induire les Français en erreur sur le niveau de vie véritable des habitants des banlieues.

Or, grâce à notre modèle social fondé sur la redistribution des richesses, les habitants de nos banlieues bénéficient d’un niveau de vie comparativement bien plus élevé que dans d’autres pays. En clair, les 10% des Français les moins riches ont un niveau de vie bien plus enviable que les 10% les plus riches d’un pays comme le Cambodge. Or, on n’a jamais vu les 10% des Cambodgiens les plus aisés (ou les moins pauvres) lancer des cocktails Molotov sur les forces de l’ordre… La misère, prise en termes absolus, n’explique donc nullement le phénomène des émeutes urbaines. D’autant que les habitants des banlieues sont les premiers à bénéficier de la générosité publique à travers les allocations logement, le RMI ou les allocations familiales qui arrosent financièrement les familles nombreuses dont font souvent partie les jeunes émeutiers.

Les discriminations, une contre-vérité ?

Phénomène unanimement dénoncé par les médias et associations, la discrimination raciale dont seraient victimes les habitants des banlieues serait, avec le chômage, une cause évidente du malaise qui s’empare des jeunes émeutiers. La thèse est séduisante, d’autant qu’elle conforte l’hallucinante tendance occidentale à l’auto-flagellation et à la culpabilisation post-chrétienne. Les Français seraient intérieurement racistes, la Colonisation et la Traite des Noirs le prouvent, ils n’auraient donc que ce qu’ils méritent.

Là encore, avant tout esprit de polémique, il faut être précis sur les faits. Comme nous l’avons déjà dit, les émeutiers sont tous de jeunes gens, très souvent mineurs. Or les mineurs sortent rarement de leurs quartiers vidés d’autochtones français, et leurs fréquentations se limitent à des personnes très majoritairement issues de l’immigration. Par conséquent, ils ne peuvent en aucun cas subir la moindre discrimination raciale, encore moins à l’embauche et au logement, étant précisément des mineurs ! La seule discrimination raciale possible est celle exercée, en toute éventualité, par la police. Admettons que certains comportements de la police exaspèrent localement certains jeunes. Mais alors, comment expliquer que les pompiers subissent exactement le même sort que les policiers caillassés par des fils d’immigrés en colère ? Parce que les pompiers opéreraient des actes de discrimination raciale en éteignant des feux de poubelles ? Trêve de mensonges : les émeutiers embrasent leurs quartiers pour des raisons étrangères au phénomène de discrimination raciale qu’eux-mêmes ne connaissent pas, n’ayant jamais eu besoin de rechercher un logement ou de passer un entretien d’embauche.

Pourtant, les habitants des banlieues sont confrontés à une authentique discrimination… en leur faveur ! Depuis plus de 20 ans, des milliards d’euros ont été investis dans la création d’écoles, d’infrastructures sportives, de zones franches, de structures préférentiellement accordées aux habitants de ces quartiers. Aucunes autres zones urbaines n’ont bénéficié de tant d’efforts publics sur des années. Avec l’effet que l’on connaît : le remerciement très particulier des émeutiers lançant des engins incendiaires contre des crèches, des écoles, des entreprises génératrices d’emplois.

La crise des valeurs

Chômage, misère, discriminations, autant de facteurs impuissants à expliquer efficacement les émeutes urbaines. Bien sûr, il serait malhonnête de les exclure totalement dans l’amplification d’un phénomène qui prospère sur un terreau socialement disqualifiant. Cela dit, la persistance d’un chômage élevé, le différentiel de richesses, les cas ponctuels de discriminations ne font que de jeter de l’huile sur le feu d’une crise qui touche aux fondements mêmes de notre société cosmopolite.

Car qui sont les émeutiers ? A l’évidence, il s’agit d’individus très jeunes, souvent mineurs, d’origine maghrébine ou sub-saharienne. Selon un rapport du Figaro du 11 novembre, les jeunes Noirs y sont surreprésentés. Or la jeunesse extrême des émeutiers met le doigt sur le problème crucial de l’autorité parentale dans les familles d’origine maghrébine ou sub-saharienne dans ces quartiers.

Souvent très nombreuses, les familles immigrées de condition modeste ne peuvent toujours exercer un contrôle efficace sur leur progéniture. De manière générale, les jeunes impliqués dans les actes de délinquance appartiennent à de nombreuses fratries où l’autorité du grand frère s’est substituée à celle du père. Les parents, n’ayant jamais cherché à maîtriser leur fécondité excessive, se trouvent débordés par des jeunes dont la véritable famille est celle de la cage d’escalier plutôt que celle de l’étage. Par ailleurs, dans les familles traditionnelles africaines, c’est le village tout entier qui s’occupe de l’éducation des enfants, aussi leur parait-il normal de laisser leurs enfants traîner dans la rue, avec les mauvaises fréquentations qu’on imagine. La crise générale des familles dans les sociétés occidentales, bien que concernant tous les milieux, touche plus particulièrement les familles fragilisées par le déracinement culturel et moral, ainsi les familles immigrées de condition modeste.

Nous le voyons, le choc culturel entre des habitudes archaïques issues de l’Afrique et un Occident en crise de valeurs morales explique efficacement la démission parentale des familles immigrées de condition modeste. Avec pour conséquence, l’effacement des valeurs centrales de respect et de civisme que connaissent les jeunes des cités. Ensuite seulement le chômage et la condition sociale aggravent une situation explosive née de la confrontation entre deux mondes antinomiques.

Et si on parlait d’immigration ?

Car derrière tout cela, quel est le phénomène à la racine du mal ? De toute évidence, c’est une immigration massive et incontrôlée qui est à l’origine de ce choc moral et culturel dont nous subissons les effets néfastes aujourd’hui. Parce que nous avons délibérément choisi depuis les années 70 une immigration de peuplement au lieu d’une immigration de travail, nous avons développé les conditions propices à une dérive sécessionniste dans les banlieues à majorité immigrée. Malgré l’urgence d’un coup d’arrêt migratoire, nous continuons à accueillir chaque année, à travers le regroupement familial, plus de 200 000 personnes insuffisamment qualifiées et auxquelles nous ne pouvons proposer ni travail ni logement. Avec pour conséquence, le renforcement d’un prolétariat de mécontents immigrés qui se tournent progressivement vers de nouvelles représentations communautaires, au risque d’allumer une authentique guerre civile dont nous ne mesurons l’ampleur.

Car quel est le principal bénéficiaire des émeutes urbaines ? Ne nous voilons pas la face : l’islam politique sort grand vainqueur de la crise. L’islam politique, UOIF en tête, est devenu le médiateur obligé du gouvernement pour calmer les esprits. Par sa fonction structurante, il remet de l’ordre dans les banlieues livrées à l’anarchie, au risque de détourner à son profit des immigrés n’ayant plus de compte à rendre ni à la France, ni à la République. Mus par une rare intelligence, les islamistes pénètrent dans la République pour mieux en prendre le contrôle de l’intérieur. Avec les émeutes urbaines, les islamistes ont remporté une première bataille. Sommes-nous condamnés à perdre la guerre ?

Constant Rémond

Novembre 2005

http://www.conscience-politique.org/2005/remondraisonsemeutes.htm

 

NUIT D'EMEUTES A CLICHY-SOUS-BOIS

"Un coup de rage"

''Un coup de rage'' par Sébastian Roché,
directeur de recherche au CNRS,
sociologue spécialiste des réponses publiques à la délinquance,
et auteur de "Police de proximité" (Seuil, 2005)

Hier soir, après la mort de deux jeunes lors d'une descente de police, des émeutes ont éclaté à Clichy-sous-Bois. Que s'est-il passé ?

- Deux mineurs de 14 et 15 ans ont été pris en flagrant délit de vol par des policiers. La police les a coursés et les jeunes se sont réfugiés dans un transformateur EDF pour se cacher. Ils sont morts électrocutés. A la suite de ça, il y a eu incendies et caillasses sur une caserne de pompiers.
A ma connaissance, il n'y a pas eu de faute ou d'erreur policière, au sens où il n'y a pas eu de tirs ou de maltraitance de la part de la police. Parfois, des émeutes surgissent suite à une violence policière, mais là, non, même si cela reste dramatique pour ces jeunes et leurs familles qu'ils se soient cachés au mauvais endroit.
Pourquoi y a t-il eu des caillassages, pourquoi les jeunes ont-ils fait le lien, même si la police n'a pas commis de bavure? C'est une réaction de colère, compréhensible, mais pas dirigée vers la bonne cible.
Il y a, en banlieue, une faible politisation des jeunes.

Ils n'ont pas le comportement, classique chez les agriculteurs -pourtant parfois violents et pas très civiques-, de s'organiser vers les lieux de pouvoir, c'est-à-dire de rentrer dans une logique de démonstration de force. Là, il n'y a pas eu de réflexion politique, c'était juste une sorte de coup de rage. Et comme c'est juste une action, cela ne permet pas de nouer le dialogue, contrairement aux accidents qui, dans un cadre structuré, engendrent en général des améliorations.
Ç a s'est passé comme cela hier et cela se passera encore comme ça demain. Le fait que ces jeunes -une infime minorité- commettent des délits et refusent de se rendre à la police se reproduira. Et même si encore une fois il n'y a pas eu d'erreur, les émeutes se reproduiront car la police reste connotée négativement.

Comment expliquer cette réaction ?

- Je pense qu'il existe un réel problème de proximité entre la population et la police, et un manque de connaissance du terrain de la part de cette dernière.
Dans les quartiers difficiles, pour intervenir "sans casse" et de manière efficace, il faut bien connaître le territoire.
Or, dans le système français, les administrations ne sont, en général, pas assez proches du territoire. Ce sont des jeunes policiers sans expérience qui sont affectés dans les banlieues, car ils ont moins de points d'ancienneté. A quoi s'ajoute un encadrement mal organisé et des commissaires qui changent souvent d'affectation. Toute la fonction publique marche comme ça. Il devient, de ce fait, difficile de comprendre et d'avoir un ancrage, une intégration dans le territoire.
C'est donc ce facteur de proximité qui fait défaut.
La gauche a bien tenté de réformer la police de proximité, mais sans succès. Et Nicolas Sarkozy, ne voulant pas être identifié à une réforme qui n'était pas allée jusqu'au bout, ne s'est pas investi dans ce chantier là.
Le Premier ministre évoquait, il y a quelques jours, sa réflexion sur la proximité. Cette réflexion ne doit pas s'arrêter là, elle doit aussi englober la police.

Que prônez-vous, alors, pour éviter une escalade de la violence entre bandes et force de l'ordre ?

- Ce que je préconiserais, ce serait un nouvel équilibre entre l'action de proximité des forces de l'ordre et leur utilisation de la force et de la contrainte.
Dans sa réforme à laquelle elle a réfléchi dès 1998 et qu'elle a essayé de mettre en œuvre entre 1999 et 2002, la gauche a fait une erreur: elle n'a pas couplé mais opposé la police de proximité à la police de répression. Nicolas Sarkozy, lui, a fait l'inverse.
Pourtant, certains principes valent, selon moi, d'être remis au goût du jour, notamment l'idée d'une connaissance du terrain et celle d'une police capable d'anticiper les événements, de résoudre les problèmes au lieu de seulement y répondre. Ce sont là des pistes intéressantes à creuser.
Ensuite, au lieu de vouloir réorganiser toute la police en France, depuis Paris, la proximité devrait être gérée localement. Il faudrait réfléchir à une meilleure décentralisation de la police, de certains de ses services. Non pas celle du renseignement (la DST), celle d'investigation (la Police judiciaire) ou les CRS mais celle dite de sécurité publique, police du quotidien concernant les vols, cambriolages, agressions dans la rue ou le RER…
Si on a un meilleur ajustement local entre les forces de l'ordre et les populations défavorisées, alors des émeutes comme celles d'hier soir devraient moins se reproduire.

Propos recueillis par Flore de Bodman
(le vendredi 28 octobre 2005)

http://permanent.nouvelobs.com/

vendredi 4 novembre 2005, mis à jour à 19:34
Sébastien Roché
" Un phénomène continu et intensif"

Propos recueillis par Anne-Laure Pham Viet Lac

Trois questions à Sébastien Roché, sociologue et directeur de recherche au CNRS de Grenoble, à propos des violences urbaines. Il est l'auteur de Police de proximité, récemment paru au Seuil

Est-ce la première fois que les violences urbaines prennent de telles proportions en banlieue parisienne ?
C’est difficile à savoir. Il existait des systèmes de comptages, qui ont ensuite été interrompus par Nicolas Sarkozy durant son premier mandat de ministre de l’Intérieur, en 2002-2004, à l’exemple du SAIVU (1). Lorsque l’on casse le thermomètre, il devient difficile de mesurer l'ampleur des phénomènes. Les affrontements à Vaulx-en-Velin étaient semblables (2). Toutefois, ici, le phénomène est non seulement continu - les nuits de violences se suivent - mais aussi assez intensif, comme l’ont montré les tirs à balle réelle sur les forces de l’ordre.

Ne sont-elles par le reflet d'une fracture dans les banlieues?
Le décalage entre les habitants des zones résidentielles et ceux des cités est évident. Il n’est pas irrémédiable. Je pense que l’on n’a pas encore assez mis l’accent sur les banlieues. Nous aurions besoin d’un ministre de la Ville au moins aussi charismatique que ceux de l’Intérieur, comme Jean-Pierre Chevènement ou Nicolas Sarkozy. Il y a un manque de leadership en matière d’urbanisme. Les auteurs d’une partie de ces violences sont une minorité d'agressifs. Ces adolescents n’ont pas conscience de la gravité de leurs actes, tant ils sont loin du reste de la population, et plus encore de toute autorité. Les violences sont surtout issues d’un terreau latent d’individus en manque de repères.

Selon vous, le système de la police devrait être entièrement repensé. Comment?
Les policiers n’ont pas commis d’erreur importante dans cette affaire. Ils ont été impliqués malgré eux, car ils sont légitimement intervenus à la suite d’un appel. La mission principale de la police doit être de rassurer et de protéger la population. On ne peut blâmer Nicolas Sarkozy de s’attaquer aux réseaux, aux mafieux. Mais la police devrait aussi davantage inspirer confiance. Nous vivons dans une démocratie où l’on dénonce la présence de la police : c’est un signe - pas le premier bien sûr - qu’il faut changer le système. Par exemple, on devrait affecter les effectifs aux zones où les besoins sont les plus criants. Aujourd’hui, l’implantation des policiers, mais aussi celle des gendarmes, n’est pas du tout adéquate. L’action de la police devrait aussi être mieux articulée avec celle des organismes de prévention: un discours oublié depuis 2002. Nicolas Sarkozy a fait l’erreur d’insister sur la répression. La police doit être repensée comme un service public. Il faut qu'elle rende compte de ses missions démocratiquement : elle doit détailler ses actions, se fabriquer une nouvelle légitimité. Cela pourrait se faire à l’occasion de réunions de quartiers et d’un retour de la police de proximité. C’est bien sûr cher et compliqué. Et la police n’est pas habituée à rendre des comptes aux usagers.
1. Crée sous le mandat de Jean-Pierre Chevènement en janvier 1999, le Système d'analyse informatique des violences urbaines enregistrait les chiffres de la délinquance collectés par la Direction centrale de la sécurité publique et les Renseignements généraux. Les données récoltées par le SAIVU ont cessé d’être publiées en 2000.
2. Ville de la banlieue lyonnaise, où ont lieu en octobre dernier des incendies de voitures et des poursuites avec la police.


© L'EXPRESS

http://www.lexpress.fr/info/quotidien/actu.asp?id=993

 

Point de vue
" Notre stratégie est la bonne", par Nicolas Sarkozy
LE MONDE | 05.11.05 | 13h04

La France connaît depuis quelques jours une flambée de violences urbaines. Des individus sans foi ni loi n'hésitent plus à tirer à balles réelles sur les représentants de la République, à saccager, piller et brûler des écoles. Un père de famille est battu à mort à coups de pieds et de poings sous les yeux des siens. Une personne handicapée, coincée dans un bus, est aspergée d'essence avant d'être enflammée. Devant ce déferlement de violences gratuites, on est en droit d'attendre de tous du discernement et de la dignité, plutôt qu'une exploitation politicienne des événements.

Faut-il être inconscient et bien peu responsable pour trouver encore le temps de polémiquer quand les fondements de la paix civile et de l'ordre républicain sont en cause et que la vie même de certains de nos compatriotes est menacée ?

Mais puisqu'une tribune, hier, a été offerte dans les pages de ce journal, à des propos et des commentaires qui relèvent de la polémique, je ne peux, chargé que je suis de la sécurité et des libertés des Français, me taire.

La stratégie que ce gouvernement met en oeuvre maintenant depuis quatre ans est la bonne. Je la défends plus encore aujourd'hui qu'hier, non parce qu'elle serait une stratégie de "droite", mais parce qu'elle est à ce jour la seule qui ait fait ses preuves. Ceux qui la contestent en ce moment pour des raisons purement idéologiques ont la mémoire courte. Les Français, eux, n'ont sans doute pas oublié le triste record de cette politique angélique et calamiteuse : plus de 4,1 millions de crimes et de délits constatés en France en 2002 ! Et déjà les violences urbaines, ne l'oublions pas !

En deux ans, en nous montrant résolument pragmatiques, nous avons ramené ce chiffre à 3,8 millions, soit presque 8 % de moins. Et cette diminution se poursuit cette année encore. En octobre 2005, nous avons enregistré 17 % de crimes et de délits de moins qu'en octobre 2001.

N'ayant tiré aucune leçon de leurs échecs successifs et de ce vaste mouvement d'exaspération populaire qui a conduit au 21 avril 2002, les socialistes, qui avaient la charge de notre sécurité persistent dans l'erreur. Non, nous n'abandonnerons pas le souci d'efficacité et de pragmatisme qui est le nôtre, pour ressortir leur conception hémiplégique de la police de proximité qui n'était en fait que du laxisme et de la faiblesse déguisés.

Je suis favorable à la police de proximité. J'appartenais en 1994 au gouvernement qui l'a introduite dans notre droit. Et je trouve excellent que la police cultive des liens étroits avec la population, soit à l'écoute de ses besoins, rencontre les associations et les professionnels. Mais, comme je l'ai déjà expliqué à diverses reprises, la police de proximité ne peut se construire au détriment de la police d'investigation et d'interpellation. Ce n'est pas l'une sans l'autre : mais l'une avec l'autre. Je considère que le rôle de la police n'est pas de faire de l'animation sportive. J'ai préféré remobiliser les forces de sécurité sur leur coeur de métier, renforcer leurs moyens d'action, et remettre les victimes au centre de leur mission.

Aujourd'hui, police et gendarmerie sont non seulement chargées de maintenir l'ordre, mais aussi d'interpeller les auteurs de crimes et de délits. A chacun son métier. Les médiateurs sont faits pour dialoguer, les forces de l'ordre d'abord pour arrêter les délinquants : c'est peut-être ça le vrai changement et l'origine des affrontements présents. Nous ne tolérons plus les zones "interdites", où le crime organisé et les trafics mafieux règnent en maître et où les honnêtes gens sont obligés de se taire et de baisser les yeux.

De la même façon que nous avons réussi à rétablir la sécurité dans les transports publics, notamment en Ile-de-France, grâce à un renforcement sans précédent des effectifs, nous ramènerons l'ordre et la tranquillité dans ces territoires depuis trop longtemps laissés à l'abandon. Partout sur le sol de la République, et pas seulement dans les beaux quartiers, les Français ont le droit de vivre en sécurité, sans craindre pour leurs biens ou leur intégrité physique. C'est un droit absolu pour chacun d'entre nous.

Et je demande que l'on mesure bien l'enjeu fondamental de la présence de la police dans les banlieues. La police est la police de la République. Elle assure l'ordre de la République. Si elle ne le faisait pas, quel ordre lui succéderait ? Celui des mafias ou celui des intégristes.

Mon nom est conspué dans les rangs des bandes qui terrorisent les quartiers. La belle affaire ! C'est dans l'ordre des choses. Ce qui me choquerait plutôt, c'est qu'ils me portent aux nues.

Manifestement, si les criminels et les voyous n'aiment guère notre politique de sécurité, les Français la soutiennent.

Ce que nos concitoyens apprécient depuis 2002, c'est indiscutablement les objectifs clairs de la politique de lutte contre l'insécurité. Celle-ci s'appuie en effet, désormais, sur le bon sens et non plus sur l'idéologie : les victimes ont droit à davantage de protection et de compassion que leurs agresseurs ; la loi est faite, avant tout, pour protéger les faibles ; la prévention, qui est indispensable, ne doit pas exclure la répression, chaque fois qu'elle s'avère juste et nécessaire.

Devant les actes de sauvagerie et de vandalisme ­ je ne fais aucun amalgame entre les voyous et l'immense majorité des jeunes de banlieues qui ne songent qu'à réussir leur vie ­, les Français peuvent compter sur la totale détermination du gouvernement.

Nicolas Sarkozy est ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

Article paru dans l'édition du 06.11.05

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-706906,0.html

L'Express du 17/11/2005
Une interview exclusive
Nicolas Sarkozy contre-attaque

par Denis Jeambar

Banlieues, sécurité, immigration... Au cœur de la crise où la révolte des cités a plongé le pays, le ministre de l'Intérieur s'explique. Cet entretien décapant avec Denis Jeambar en dit long sur sa vision de la France et sur sa manière de faire de la politique

L'Express. Comme vous n'avez pas la réputation d'être un homme irréfléchi, on n'imagine guère que vos propos et votre action, ces dernières semaines, face à la crise des banlieues, aient obéi à une sorte d'excitation fébrile ou de précipitation face à l'événement. On a même le sentiment que vous avez appliqué à la lettre la recette suivante: affirmer une fermeté absolue dans votre volonté d'affronter les émeutes pour démontrer que chacune de vos décisions est signe de courage. Vous voulez apparaître, d'abord, comme le ministre qui a le courage physique d'aller sur le terrain au contact de la réalité. Vous voulez être, ensuite, l'homme qui a le courage de nommer les choses en utilisant les mots du monde réel: «Kärcher», «racaille», etc. Bref, contrairement à une idée reçue, je ne vois aucun dérapage dans votre action, mais plutôt un calcul permanent. Vous vous moquez des réactions désagréables que vous provoquez, car, même dans cette crise, vous avez délibérément choisi vos moyens en cherchant à jeter le trouble. L'essentiel est d'orchestrer le débat politique autour de vous et d'installer l'idée que vous êtes le seul acteur politique vraiment courageux. Autant dire qu'au milieu de ces événements difficiles vous êtes ministre, bien sûr, mais que vous vous employez également à sculpter votre personnage dans la perspective de la présidentielle.
Nicolas Sarkozy. Vous avez à la fois raison et tort. Vous avez raison parce que mon action procède, en effet, d'une analyse. J'ai beaucoup réfléchi et travaillé ces questions. Mais vous avez tort quand vous laissez supposer qu'il y a dans cette affaire une question d'ego. J'ai une grande expérience de la vie politique et je sais qu'agir en fonction de son seul ego conduit à l'échec. Je reviens aux faits et à mon analyse. 1 Français sur 2 qui ne vote pas. Trois tsunamis politiques graves en trois ans: la présidentielle de 2002, les élections de 2004 et le référendum de 2005. Une classe politique de moins en moins audible. Des discours, dont tant de nos concitoyens se disent: il n'y a rien à retenir et pas davantage à entendre. Tant de Français qui pensent que ceux qui prononcent ces discours ne croient pas un mot de ce qu'ils disent. C'est pour cela que j'ai parlé de la nécessité de la rupture dans notre façon de faire de la politique. Mon propos allait bien au-delà de la conjoncture ou de mon souci de ne pas m'inscrire simplement dans un bilan. J'ai la conviction que ce n'est pas la politique qui n'intéresse pas; c'est l'absence de débat politique qui consterne. C'est à partir de ce constat que j'ai décidé de parler des raisons de la crise et des problèmes de la France, de façon à être entendu et compris. Quel médecin pourrait se permettre de dire qu'il a trouvé le bon remède s'il n'a pas, d'abord, le courage d'établir le vrai diagnostic? La France ne trouve pas de solutions structurelles à la crise qui la traverse parce que ses élites n'ont pas le courage de dresser le véritable diagnostic sur cette crise. C'est pour cela que j'ai appelé à la rupture, mais je ne me suis pas contenté de cela. Le premier, j'ai dit que le modèle social français était à bout de souffle. Le premier, j'ai dit que l'intégration à la française était un échec. Parmi les premiers, j'ai dit que les banlieues étaient des poudrières, qu'il fallait faire une place aux musulmans de France, qu'il fallait engager le pays sur la voie de la discrimination positive à la française en faisant plus pour ceux qui ont moins. Vous dites que je m'intéresse bien peu aux réactions hostiles à mes propos: c'est vrai. Elles sont classiques et témoignent surtout de l'immobilisme d'une partie de la classe politique qui attaque toujours celui qui a le «tort» d'agir. On pourrait reprendre le texte de cette chanson de Béart: «Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté», et l'adapter ainsi: «Il a voulu tenter d'agir, il doit être arrêté.» Il est si commode de parler pour ne rien dire ou de commenter pour ne rien faire! Enfin, l'idée que je fais tout cela dans la seule perspective de la présidentielle est absurde. Mes convictions sont affirmées depuis des années. J'ai proposé, par exemple, le droit de vote des immigrés aux municipales dès 2001. En définitive, ce qui manque en France, c'est un vrai débat. Je veux redonner des couleurs et de la force à un débat d'idées aujourd'hui moribond.

De toute évidence, vous avez sciemment décidé, pour vous différencier, d'utiliser ce que vous appelez les «vrais mots». Votre mode de communication est très innovant, de ce point de vue: vous préférez parler de «racaille» plutôt que de «délinquants» ou de «viols» plutôt que de «tournantes». Vous pensez être mieux entendu et mieux compris ainsi. Vous êtes convaincu que vous renouez le fil avec les Français en parlant comme eux. Mais cette démarche calculée, voulue, que vous assumez pleinement, soulève plusieurs questions. Sur le rôle du politique, d'abord: on peut parler net sans parler cru, dire des choses claires en élevant le niveau, considérer qu'il y a une exemplarité aussi dans le langage de l'homme public. Il n'y avait rien de plus tranché et tranchant que les conférences de presse du général de Gaulle. Pour autant, le propos n'était jamais vulgaire. A quoi sert ce qu'il faut bien appeler votre démagogie sémantique et verbale? Elle plaît, peut-être, dans l'instant, mais, sur le fond, elle est dangereuse, car elle vous pousse à l'imprécision et à l'amalgame. Le mot «racaille» est en effet utilisé quotidiennement dans les banlieues, mais c'est un terme collectif, qui englobe tout le monde et qui est désastreux face à des individus qui ont perdu tout sens de la responsabilité personnelle. Il n'est pas culpabilisant: il fait plaisir à ceux qui condamnent de l'extérieur ces auteurs de violences, mais il n'a aucun impact sur eux. Vous parlez à l'opinion, pas à ces individus. Bref, si c'est bon pour votre popularité, ça n'a aucune efficacité, bien au contraire, dans les banlieues. Vos mots masquent votre impuissance pratique, qu'on pourrait résumer ainsi: malgré tout ce que vous avez dit et fait, malgré la mobilisation énorme des forces de police, on brûle des centaines de voitures et des bâtiments publics chaque nuit aux portes de Paris et de nombreuses villes. La vérité, c'est que des portions entières du territoire ne sont plus sous le contrôle de l'Etat depuis fort longtemps.

N. S. Qu'est-ce que vous me reprochez? D'appeler un voyou un voyou? De dire que je veux débarrasser les banlieues d'un trafic que l'on commente depuis des années sans s'y attaquer? C'est vrai, les banlieues, ça fait bien longtemps qu'on sait ce qui s'y passe et ça fait trente ans qu'on a décidé, consciemment ou inconsciemment, de les laisser dépérir dans leur coin en contournant le problème. On a essayé d'acheter le calme en retirant les services publics et en créant les conditions d'une politique sociale centrée sur l'assistanat. Tant d'habitants de nos quartiers se sont ainsi sentis abandonnés par la République!

Vous pouvez préciser cette accusation?
N. S. La police et la gendarmerie n'ont jamais eu les consignes pour aller en profondeur dans les banlieues. Je prends un exemple: entre 1997 et 2002, il y a eu 25 journées d'émeutes et guère d'interpellations! Je ne sais pas si la consigne avait été donnée, mais elle a été parfaitement exécutée: ne rien faire. Nous venons de connaître 18 jours d'émeutes et nous avons, à ce jour, procédé à près de 3 000 interpellations. Dans la polémique sur cette crise, j'ai très bien vu que certains observateurs demandaient que l'on retire les forces de l'ordre pour ramener le calme et expliquaient que les émeutes étaient liées à la présence de la police et à un ministre de l'Intérieur qui entendait faire régner l'ordre public dans ces zones de non-droit. La vérité, c'est que, depuis quarante ans, on a mis en place une stratégie erronée pour les banlieues. D'une certaine manière, plus on a consacré de moyens à la politique de la ville, moins on a obtenu de résultats. Dire cela, c'est regarder la situation telle qu'elle est. Le quantitatif n'est pas la solution. Le temps est venu de parler des vrais problèmes. J'ajoute un dernier mot: fallait-il que je touche là où ça fait mal pour que les mots que j'ai prononcés suscitent un tel débat! J'observe que les habitants des banlieues, eux, m'ont compris: c'est la réalité qu'ils vivent. Ce sont toujours les mêmes qui ont fait mine de ne pas comprendre. Enfin, je voudrais dire qu'il y a un mot qu'on ne prononce jamais quand on parle des banlieues: c'est le mot «peur». Un certain nombre de Français vivent avec la peur au ventre. Peur parce qu'ils sont des oubliés de la République! Ils ne vont plus voter parce qu'ils n'ont plus d'espérance et ne croient plus les gens d'en haut, qui parlent, discourent et ne font rien pour eux. Quant au souci de provoquer, un certain nombre d'observateurs et de responsables politiques sont si sensibles que, pour ne pas provoquer, il faudrait ne rien dire. C'est si triste qu'à leur place j'aurais choisi de faire un autre métier... Je ne me suis pas engagé dans la politique pour ne rien dire. Je l'ai fait pour défendre mes convictions, définir une ligne stratégique et la porter. Je continuerai ainsi.

«Je ne veux pas de l'ordre des mafias et je ne veux pas plus de l'ordre des barbus. Je veux l'ordre de la République»

Je pense que vous avez pour stratégie de profiter de chaque occasion qui se présente à vous pour incarner le volontarisme en politique et faire passer l'idée que, avec vous, il est possible de changer le cours des choses et que vous êtes le seul à oser. Mais, si vous nommez la réalité, si vous la décrivez, en revanche, on ne peut dire que vous ayez vraiment agi sur elle. Prenons des exemples de vos actions depuis 2002. En matière de sécurité, malgré votre habileté à dire le contraire en jouant avec les statistiques, vous savez bien que les violences et atteintes aux personnes n'ont cessé de progresser. En Corse, on peut reconnaître que vous avez détruit le système Pieri, ce qui n'est pas rien, mais, par ailleurs, il ne reste absolument rien de votre projet politique initial pour l'île. Pour ce qui est de la lutte contre la hausse des prix quand vous étiez ministre de l'Economie et des Finances, vos injonctions aux grandes surfaces ont fait «pschitt», comme dirait Jacques Chirac. Quatrième dossier, qui nous ramène aux banlieues: l'islam et la laïcité. Aujourd'hui, vous donnez le sentiment d'être l'arroseur arrosé, tant le bilan de votre Conseil français du culte musulman (CFCM) est dérisoire. Où voyez-vous que ce clergé officiel ait fabriqué de la cohésion sociale et qu'a-t-il fait dans cette crise, sinon sombrer dans l'impuissance? Enfin, vous avez défendu la discrimination positive et vous avez réclamé haut et fort des préfets musulmans. Or, qui s'est opposé à vous dans ce gouvernement, sinon Azouz Begag, un pur produit de cette discrimination positive? Vous avez allumé la mèche du communautarisme, et la grenade vous saute aujourd'hui à la figure.
N. S. Absurde! Comme si c'était moi qui étais responsable du communautarisme! Pouvez-vous me regarder et me dire en face que le communautarisme, c'est moi? Le communautarisme, il naît de la faiblesse de l'Etat républicain. Quand l'Etat ne remplit plus son rôle, les membres d'une communauté se retournent vers celle-ci pour être défendus, faute de l'être par l'Etat.

Je partage cette analyse.
N. S. Alors, comment pouvez-vous laisser entendre que je suis responsable du développement du communautarisme dans ce pays? Mais je reviens sur les questions concernant mon action. Vous dites: vous n'avez pas tout résolu. C'est bien pour cela que je continue. Qui peut raisonnablement penser que le ministre de l'Intérieur, dans un gouvernement dont il ne définit pas la ligne politique, pourrait tout résoudre? Vous évoquez la Corse, mais vous oubliez de dire que nous avons arrêté Colonna. Ma volonté politique a permis d'aboutir. Le système Pieri, vous passez un peu vite: dans certains journaux, on a fait de Pieri une sorte de Che Guevara du pauvre. Je l'ai, moi, appelé l' «Al Capone corse» et la justice l'a emprisonné pour dix ans. On respire mieux en Corse, aujourd'hui. La mouvance nationaliste n'a jamais été aussi faible en Corse depuis les événements d'Aléria, en 1975. 500 personnes seulement aux universités de Corte, cet été, on n'y avait jamais vu aussi peu de monde depuis leur création!

Votre projet initial, que vous avez soumis à référendum, a tout de même échoué!

« Il n'est pas de pire risque pour la France, aujourd'hui, que celui qui consisterait à ne pas en prendre»

N. S. Mon projet politique pour la Corse, c'était d'abord d'y faire reculer la peur, et elle a reculé. Je reconnais que je n'ai pas réussi à créer les conditions du développement dans l'île, mais je suis ministre de l'Intérieur et rien d'autre. Par ailleurs, comment voulez-vous qu'en trois ans j'efface trente années d'échecs? J'en viens aux prix dans les grandes surfaces. J'ai mis le doigt sur l'inflation provoquée par le passage à l'euro et, depuis que j'ai fait ça, les prix ont effectivement baissé dans les grandes surfaces. Les prix des 5 000 produits de marque les plus consommés ont baissé de plus de 4% quand j'étais ministre. Qui le dit? C'était un problème, je l'ai analysé et j'ai obtenu des résultats. Sur les violences, il y a 400 000 crimes et délits en moins chaque année depuis que je suis ministre de l'Intérieur. 17% de moins en octobre 2005, par rapport à octobre 2001. Que diriez-vous si c'était en plus! C'est vrai qu'il y a de nouveaux phénomènes - les violences urbaines, les violences intrafamiliales, les violences dans les stades. Ils figurent parmi mes priorités. Mais reconnaissez qu'il n'est pas simple de lutter contre les violences au sein des familles. J'en viens à l'islam de France: comment pouvez-vous oublier ces grands moments de la vie de la République, quand le CFCM a déclaré publiquement qu'il ne se reconnaissait pas dans les tortionnaires qui avaient enlevé vos confrères journalistes en Irak? Quand l'UOIF [Union des organisations islamiques de France], qui concurrence, au bon sens du terme, les salafistes dans les cités, a adressé une fatwa pour déclarer qu'on ne pouvait pas se dire bon musulman et se faire l'apôtre de la violence dans les banlieues? Eh bien, je me suis dit en entendant cela que ce que j'avais fait était utile! Vous ne pouvez pas dire le contraire.

Où voyez-vous que le CFCM a recréé du lien social dans les banlieues et pris le relais de l'Etat déficient? C'était ce que vous espériez, et vous avez échoué.
N. S. Je n'ai jamais dit ça.

C'était le cœur de votre livre sur la laïcité, l'année dernière. Nous en avons âprement débattu dans les colonnes de L'Express.
N. S. Je n'ai pas dit ça. J'ai dit que les religions étaient capables de redonner du sens à la vie et que la question spirituelle était plus importante que la question temporelle, notamment dans des quartiers qui sont devenus des déserts culturels et cultuels. Je n'ai jamais parlé du lien social. Je ne veux pas de l'ordre des mafias et je ne veux pas plus de l'ordre des barbus. Je veux l'ordre de la République. Maintenant, sur le bilan soi-disant dérisoire du CFCM, comment pouvez-vous dire cela, alors que 1 300 mosquées ont participé à la définition de l'islam de France, deuxième religion de notre pays, au cas où vous l'auriez oublié? Si ce bilan-là est dérisoire, que devrait-on dire des autres! Quant à la discrimination positive, je suis choqué qu'il n'y ait pas plus de préfets de minorités visibles, je suis choqué que, quand on est musulman ou originaire d'Afrique noire, on ne se reconnaisse pas dans les magistrats, dans les généraux, dans la haute fonction publique. La France est multiple; cette multitude est une richesse. Je ne veux pas d'une élite française unique. Quant à Azouz Begag, il a le droit de penser et de dire ce qu'il veut, je ne polémiquerai pas avec lui. Je dis simplement: je suis allé 46 fois dans les banlieues depuis que je suis ministre de l'Intérieur; pendant la crise, j'y suis allé toutes les nuits, et je vais continuer à y aller. Je parle d'une réalité que je connais et je m'adresse à des gens qui m'entendent. Tous les sondages le montrent: les habitants des cités ont compris que l'action que je mène est pour eux, pas pour ceux qui n'y vivent plus depuis longtemps ou qui n'y vont jamais. Moi, mon travail, c'est d'être compris de ceux qui y habitent, qui baissent la tête quand ils rentrent dans leur immeuble parce que des voyous leur rendent la vie impossible. Je suis du côté de ces gens-là. Je n'ai allumé aucune mèche. Quant à la grenade qui me saute à la figure, les Français sont moins sévères que vous, puisqu'ils me mettent en tête de ceux dont ils attendent des solutions. Je ne dis pas que j'ai toujours raison, mais au moins j'essaie, je cherche. J'ai la volonté de briser le carcan de la réflexion unique. Je voudrais dire ceci à vos lecteurs: dans ma démarche, je veux qu'on me reconnaisse le droit à l'erreur, parce que l'erreur est moins grave que le fait de ne pas tenter, de ne pas bousculer. Vous n'avez pas fait une erreur, vous, quand vous avez décidé de sortir L'Express le lundi? En bref, je considère qu'il n'est pas de pire risque pour la France, aujourd'hui, que celui qui consisterait à ne pas en prendre. On ne réglera pas les problèmes de la France de 2005 avec les idées d'il y a trente ans. Elles ont déjà échoué il y a trente ans. Elles échoueront aujourd'hui et l'on ne peut pas demander à celui qui cherche à avancer de ne jamais se tromper, parce que la peur de l'échec, c'est l'immobilisme. Oui, j'ai connu un échec en Corse avec le référendum, oui, j'ai pu me tromper. Mais peu importe, car ce qui compte, c'est d'essayer d'avancer, de soulever des montagnes, de dire à la France: «Regarde-toi telle que tu es», de refuser l'immobilisme qui, lui, conduit toujours à l'échec et à l'impasse. Mon credo, c'est qu'il n'existe aucune fatalité.

Croyez-vous vraiment que le rôle de l'homme public soit d'imiter les gens en reprenant leurs mots? Il y a dans ce pays un énorme déficit de représentation, mais on ne demande pas pour le combler d'imiter les gens comme on imite le cri des bêtes! Vous êtes élu pour prendre en charge les problèmes et leur trouver des solutions, pas pour jouer les Laurent Gerra! D'ailleurs, ça ne trompe personne: regardez ce qui est arrivé à Laurent Fabius avec ses confidences sur son goût pour les carottes râpées et sur sa passion pour le Loft! La même chose vous guette avec votre nouveau parler-vrai : c'est de la politique réduite à la communication.

« La police va arriver dans les quartiers à 17 heures et partir à 4 heures, parce que ce sont les horaires des voyous»

N. S. D'abord, il n'y a aucune vulgarité dans mes propos et je n'imite personne. Peut-être y a-t-il surtout trop de mondanités dans le débat politique: on parle entre nous de sujets qui ne concernent personne avec des mots que personne ne comprend. La sémantique, ça compte. Les idées, les mots, les concepts servent à déverrouiller l'action. Je prends une image: la communication est à l'action ce que l'aviation est à l'infanterie; l'aviation doit passer pour que l'infanterie puisse sortir; c'est lorsqu'on a gagné la bataille de la communication qu'on peut commencer à agir. Il y a vingt-cinq ans, on agissait puis on communiquait; à présent, tout a changé, c'est parce qu'on a communiqué et qu'on s'est fait comprendre qu'on peut agir. Quand je dis «racaille», je ne parle pas des jeunes, contrairement à ce qu'on cherche à faire croire, ni des jeunes ni des habitants des banlieues, je ne fais aucun amalgame, je fais même le contraire. Je désigne avec un mot qui n'est pas assez fort ceux qui ont tué d'un coup de poing un homme âgé, qui ont battu à mort un autre en train de prendre des photos dans la rue, qui ont mis le feu aux cheveux d'une infirme. Quand je dis Kärcher, tout le monde comprend que je veux agir en profondeur pour débarrasser les quartiers des trafics et des trafiquants, pour la tranquillité de ceux qui y vivent. Alors, c'est vrai, j'ouvre des débats. Depuis quatre ans, c'est d'ailleurs moi qui les ai portés. Sans exception! Y a-t-il de la vulgarité dans tout cela? Etait-ce vulgaire de s'opposer à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne? Etait-ce vulgaire de demander de définir un acquis social? Etait-ce vulgaire de remettre en question les 35 heures? Etait-ce vulgaire de dire qu'il n'y avait pas une politique économique, mais plusieurs? Etait-ce vulgaire d'être le premier à parler du problème des banlieues? Je demande à être comparé au leader du premier parti d'opposition de France. Quelles sont les idées neuves qu'a lancées François Hollande depuis quatre ans? J'ai fait de mon parti le premier lieu du débat politique en France. Alors, de grâce, ne me comparez pas à Laurent Gerra!

Il a beaucoup de talent.
N. S. C'est vrai, vous auriez dû le préciser dans votre question! Plus sérieusement, j'ai profondément changé dans ma manière de faire de la politique et je ne cesse d'avoir plus d'appétit pour le débat d'idées. Je ne parle pas des carottes râpées, de la Star Ac et des autres comme Laurent Fabius. Je suis au cœur du débat politique parce que j'essaie de porter des alternatives sur les grands problèmes de la France.

En 1994, dans son bréviaire électoral, La France pour tous, Jacques Chirac écrivait avec une extraordinaire lucidité: «L'urgence, c'est d'abord la situation dans les banlieues où les droits sont bafoués, à commencer par le droit à la sécurité. Il n'est pas acceptable qu'en France, à la fin du XXe siècle, de véritables “favelas” forment le terreau d'une économie de type mafieux. Voués à la marginalité parce qu'en situation d'échec scolaire, les jeunes sont l'objet des pires tentations. Une insécurité permanente dissuade toute initiative économique; une immigration clandestine et incontrôlable contribue à y rendre la situation plus dramatique. Il faut lancer immédiatement un plan national de reconquête de ces zones…» J'imagine, qu'en son temps au moins, même si vous défendiez alors la candidature d'Edouard Balladur, vous avez lu ce texte. Il est si remarquable que personne, aujourd'hui, ne peut dire, sauf à être d'une totale mauvaise foi: nous ne savions pas. Le diagnostic était impeccable et les remèdes proposés très précis: traitement économique pour offrir de l'emploi à tous, traitement social d'accompagnement, lutte contre l'échec scolaire. Où est l'erreur? Vous-même, ne vous êtes-vous pas trompé en différant votre loi sur la prévention, annoncée pour mars 2003 et que vous ne présenterez qu'à la fin de ce mois de novembre 2005? Ce gouvernement ne s'est-il pas trompé en supprimant les emplois-jeunes et en croyant que la seule réhabilitation de l'habitat réglerait les difficultés? A quoi servent des logements neufs quand on n'a pas de revenus pour les entretenir et vivre? En supprimant la police de proximité, en donnant comme seule priorité à vos troupes la répression, en insistant sur la «culture du résultat», en ironisant sur les policiers transformés en «agents d'ambiance», vous-même, n'avez-vous pas obéi à cette loi simpliste de l'alternance qui veut qu'on fasse table rase de tout le travail de ceux qui vous ont précédé?
N. S. Je voudrais d'abord dire que ce n'est pas la première fois que je suis d'accord avec le diagnostic de Jacques Chirac. Depuis 2002, par ailleurs, nous avons beaucoup fait. Mais je voudrais, surtout, qu'on en finisse avec quarante années d'erreurs, droite et gauche confondues. J'en vois quatre importantes. Première erreur: on a cherché à aider des territoires plutôt qu'à aider des individus. Aider des territoires, ça veut dire aider tout le monde, celui qui veut s'en sortir, mais aussi celui qui ne fait rien pour cela. Ça permettait à la société de se dérober et d'ignorer qui il fallait aider, c'est-à-dire les personnes issues de l'immigration maghrébine et d'Afrique noire. On n'a pas eu le courage de dire cela et on s'est protégé avec l'aide au territoire. Deuxième erreur: on a fait du social là où il fallait offrir du travail. On a aidé les colonies de vacances, on a créé des terrains de football, on a distribué des subventions là où il fallait donner une formation. Troisième erreur: on a refusé de regarder le problème des banlieues en face. On a nié l'existence de bombes à retardement à dix minutes du centre de la capitale de la France et de la plupart de ses villes. Quatrième erreur: on a laissé à penser qu'on pouvait confondre générosité et impunité. L'impunité, ce n'est pas de la générosité, c'est de la complicité. Voilà les quatre erreurs et les quatre changements de cap profonds que je souhaite réaliser.

Quelle faute y a-t-il derrière ces quatre erreurs?

« A force de décrire une France qui n'existe pas, c'est-à-dire des Français tous égaux, on ne résoud pas les problèmes»

N. S. Si on devait trouver une faute qui résumerait tout, c'est la lâcheté. Lâcheté, parce qu'on n'a pas voulu dire que l'immigration est un problème qui existe. Lâcheté, parce qu'au fil des ans on a laissé le problème s'enkyster. Lâcheté, parce qu'on a trouvé plus facile de faire du collectif plutôt que de l'individuel. Lâcheté, parce qu'il était plus simple de distribuer des crédits dans une France en croissance, plutôt que d'obliger des gens à se former et à travailler. Lâcheté, parce qu'on s'est retranché derrière un concept, le modèle d'intégration à la française, sans se demander s'il était encore efficace. Lâcheté, parce qu'on n'a pas voulu poser la question d'une immigration choisie plutôt que subie.

Michel Rocard, le premier, a dit: «La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde.»
N. S. Comme souvent dans sa vie politique, Michel Rocard a porté là une idée neuve. Mais il n'en a tiré aucune conclusion. Le seul qui ait apporté une réponse, même si je la combats, c'est Le Pen, en disant: «N'accueillons personne.» Moi, je propose une troisième voie, la vraie, celle de l'immigration choisie au travers de quotas d'immigration. J'ajoute que l'action policière que j'ai engagée dans les quartiers ne s'arrêtera pas avec la fin des violences urbaines. La police va rester et nous allons éradiquer les trafics. Des affaires vont sortir dans les prochaines semaines. La vraie police de proximité, c'est que, désormais, le tiers des forces mobiles, au lieu d'être consacrées au maintien de l'ordre, s'installent durablement dans les quartiers, pour la sécurité quotidienne. Mais ce ne sera pas une police de proximité pour dire bonjour à des commerçants qui, par ailleurs, ont déserté ces quartiers, ce sera pour interpeller, pour protéger et pour punir chaque fois que ce sera nécessaire. La police va arriver dans les quartiers à 17 heures et partir à 4 heures du matin, parce que ce sont les horaires des voyous qui trafiquent de la drogue ou volent des voitures! Ça, c'est de la vraie prévention et de la protection. Demandez aux habitants de la Cité des 4 000, à La Courneuve, pourquoi elle est restée calme ces derniers jours! Demandez-leur si la situation n'a pas changé! Parlez aux vrais habitants de cette cité, où je suis allé trois fois, et vous verrez s'ils trouvent qu'il y a trop de police! L'action que j'ai engagée s'inscrit dans le long terme.

Encore faudrait-il que vous restiez ministre de l'Intérieur longtemps!
N. S. Vous savez ce que disait Jacques Chaban-Delmas: «Rendez-vous lundi prochain, sauf la mort.» La volonté d'un homme politique, c'est de penser qu'il a le temps et il doit en tirer la conclusion qu'il doit commencer à travailler tout de suite.

Diriez-vous comme Philippe de Villiers qu'il y a des problèmes d'ethnicité dans nos banlieues?
N. S. Je ne reprendrai pas le langage de Philippe de Villiers, car, pour moi, il a des relents de discrimination raciste et je ne l'accepte pas. On n'est pas délinquant à cause de la couleur de sa peau.

Tous ces émeutiers sont d'abord français.

« On n'a pas été assez ferme sur le respect des devoirs et pas assez généreux sur l'expression des droits»
N. S. Ils sont tout à fait français juridiquement. Mais disons les choses comme elles sont: la polygamie et l'a-culturation d'un certain nombre de familles font qu'il est plus difficile d'intégrer un jeune Français originaire d'Afrique noire qu'un jeune Français d'une autre origine. Dire cela, c'est décrire une réalité qui explique que je veux faire plus pour eux. Il sont victimes d'une discrimination et je conteste cette idée que, sur la ligne de départ de la vie, on part tous du même point. Il y en a qui partent de plus loin, parce qu'ils ont un handicap, celui de la couleur, de la culture, du quartier. Il faut donc les aider. C'est le concept de discrimination positive à la française.

«Discrimination positive à la française», n'est-ce pas encore une formule creuse comme «modèle social français»?
N. S. Mais non! La discrimination positive à la française, c'est arrêter de considérer qu'on résout le problème des injustices en parlant et en ne faisant rien. C'est arrêter de penser qu'on arrive à l'égalité par le nivellement: celui qui travaille plus que les autres doit gagner plus que les autres. Ça veut dire que le département de la Creuse doit être plus aidé que les Hauts-de-Seine. Ça veut dire que ce qu'a fait Sciences po, ou l'Essec, avec les ZEP est remarquable. Ça veut dire que certains enfants doivent être pris par la main pour trouver un chemin. Ça veut dire que nous allons créer des écoles spécifiques pour que des jeunes des quartiers puissent passer avec de vraies chances de succès les concours de la fonction publique.

Avec des quotas?
N. S. Non. Discrimination positive à la française, ça ne veut pas dire quotas ethniques ou culturels. Ça veut dire créer une égalité des chances qui soit réelle.

A partir des observations que vous avez faites au cours de ces nuits de violence, quelle est l'ampleur réelle du problème?
N. S. L'affaire est grave. Nous n'avons pas quelques dizaines ou quelques centaines de délinquants. Il s'agit de milliers et le nombre de personnes interpellées en donne la mesure. Un certain nombre de territoires sont passés sous le contrôle de bandes parfaitement organisées. Elles règnent en maîtresses absolues. On voit leur organisation à partir de la façon dont elles utilisent les mineurs. Quand on découvre un laboratoire de fabrication de cocktails Molotov à Evry [Essonne], on y trouve sept mineurs de 13 à 17 ans, utilisés par des caïds. Les bailleurs sociaux sont rackettés. On a constaté que n'ont des appartements que ceux que ces bandes acceptent. Une épreuve de force s'est donc déroulée sous les yeux de la France: un certain nombre de gens se sont dit «si on fait reculer les forces républicaines, on aura définitivement la paix». Un calme précaire s'était installé sur la démission de l'ordre public. Ils ont voulu s'enraciner définitivement. Le mal est profond, c'est pour cela que j'ai dit qu'il fallait l'éradiquer en profondeur, j'allais dire passer le Kärcher, mais je ne voudrais pas vous choquer! Par ailleurs, il faut réfléchir à la question des mineurs, qui n'ont plus rien à voir avec ceux d'il y a quarante ans. Il y a des mineurs qui, à 14 ou 15 ans, ont déjà violé, braqué, brûlé et qui sont forts comme des hommes. Il nous faut trouver une nouvelle réponse pénale. Il nous faut repenser la question des familles qui ne respectent pas leurs devoirs: elles doivent pouvoir être sanctionnées par la suspension ou la mise sous tutelle des allocations familiales. Il faut aussi systématiser la présence d'internats dans les quartiers. En région parisienne, 1 famille sur 2 est monoparentale. Que faire des «orphelins de 16 heures» à la sortie des écoles? L'internat est la réponse pour que les enfants ne soient pas livrés à la loi de la rue. Il faut multiplier les moyens de détecter les comportements violents dès le plus jeune âge. Je présenterai pour cela, à la fin de ce mois, un plan de prévention de la délinquance. Je ne crois pas à une réponse de masse, mais à des réponses individualisées adaptées aux problèmes de chacun.

Iriez-vous jusqu'à proposer, comme en Grande-Bretagne, une interdiction pour les mineurs de moins de 12 ans de circuler seuls dans les rues au-delà de 22 heures?
N. S. Non, car je ne crois pas aux mesures générales. En revanche, il nous faut lutter contre l'absentéisme scolaire. Là encore, si une famille n'exerce pas ses devoirs, la question de ses droits aux allocations doit être posée.

Autre sujet de débat, la polygamie.
N. S. Il n'y a pas à lutter contre, elle est interdite. Je demande donc qu'on repense les conditions de mise en œuvre du regroupement familial. Il a été détourné de son objectif. On ne peut plus accepter de regroupement familial sans vérification. C'était une mesure pour favoriser l'intégration. C'est devenu une nouvelle filière d'immigration. Celui qui demande le regroupement doit avoir les moyens matériels d'accueillir sa famille et de la faire vivre.

Comme vous n'improvisez rien, il y a, de toute évidence, autre chose derrière votre choix de parler avec les mots des gens. Ce mimétisme reflète le fond de votre stratégie: vous faites de la politique par lotissement, vous construisez des discours pour des clientèles que vous travaillez avec application pour vous les rallier le moment venu, c'est-à-dire le jour de l'élection présidentielle, dont vous m'avez dit, lors d'une rencontre, que vous y pensiez tout le temps. Vous faites du blairisme, mais votre modèle Blair agit, lui, dans un contexte culturel très différent, puisque le communautarisme structure la société britannique: il peut segmenter son discours sans courir le risque de déstructurer le pays et d'être lui-même incohérent. La France est bien différente: la République, dont vous parlez tant depuis le début de notre entretien, cultive ce qui rassemble, pas ce qui différencie. C'est ainsi. Du coup, tout ce qui, depuis des années, depuis la création du mouvement Touche pas à mon pote!, fait l'éloge de la différence déstabilise notre modèle et le fragilise. Au passage, ce communautarisme est très ambigu: on prétend respecter la culture de l'autre mais, au fond, on le rejette en l'enfermant dans sa communauté et en refusant de faire l'effort de l'intégrer. On a la preuve, avec ces révoltes, que ça ne marche pas.
N. S. Pour moi, la France, ce n'est pas une addition de communautés. Mais, à force de décrire une France qui n'existe pas, c'est-à-dire des Français tous égaux, on passe à côté de la résolution des problèmes. La France n'est pas une succession de parts de marché, mais il y a des Français qui ont des problèmes différents des autres. Et s'occuper des problèmes de tous les Français, ce n'est pas un reproche qu'on peut faire à un responsable politique. Il y a des problèmes spécifiques. Quand vous parlez de communautarisme, vous traduisez une peur. La République, vous la voyez beaucoup plus faible que moi. S'occuper des banlieues ou des musulmans, ce n'est pas faire du communautarisme. Mon action est profondément républicaine, car je veux rétablir l'ordre républicain. Elle est le contraire du communautarisme. Après toutes les interpellations que nous avons faites, la France ne sera, d'ailleurs, plus la même, car le sentiment d'impunité, pour la première fois depuis très longtemps, va reculer. Vous devriez dire: enfin un ministre de l'Intérieur républicain! Le droit de vote des étrangers, par exemple, c'est un facteur d'intégration.

Mais ce n'est pas le sujet du moment, puisque ces émeutiers sont quasi tous Français et ont donc le droit de vote!
N. S. C'est vrai, mais cette question du droit de vote je l'ai soulevée dès 2001 dans mon livre Libre. En rappelant cette proposition, j'ai simplement voulu dire que je ne faisais pas d'amalgame. Par ailleurs, 15 pays sur 25 dans l'Union ont déjà donné le droit de vote aux étrangers. Au fond de moi, je pense qu'on n'a pas été assez ferme sur le respect des devoirs et pas assez généreux sur l'expression des droits. Profondément, je crois que les civilisations sont plus mortelles par les risques de consanguinité que par l'ouverture. On disparaît quand on se referme sur soi- même. La France n'est que l'histoire d'une diversité qui nécessite, d'ailleurs, un Etat fort. C'est la force de cet Etat que je rétablis dans les banlieues et jamais l'expression Compagnie républicaine de sécurité n'a été aussi vraie.

Il y a, aujourd'hui, des analyses différentes des événements. Les uns, à l'image par exemple de l'historien René Rémond, pensent que nous sommes face à une dégradation de la sociabilité collective et que ces jeunes révoltés, qui sont pour la plupart français, puisque nés sur ce territoire, refusent désormais de s'intégrer. Les autres, comme le démographe Emmanuel Todd, qui ont une vision beaucoup plus optimiste, considèrent que ces violences traduisent une désintégration de la famille maghrébine et africaine et expriment un refus de marginalisation. Quelles sont votre propre interprétation et les conclusions que vous en tirez pour votre action?
N. S. Je crois qu'il n'y a pas d'autre choix que l'optimisme. Si nous ne les intégrons pas, nous nous désintégrerons. Mais, pour y parvenir, la République doit cesser d'être complaisante pour être ferme. J'ai bien conscience que la fermeté peut générer une violence. C'est la raison pour laquelle la fermeté doit être juste. La société française, et c'est peut-être là sa vraie exception, est très sensible à la question des injustices. Fermeté et justice, c'est le chemin de la rupture que je défends. Il faut que la rupture incarne une sécurité et pas une inquiétude. Il n'y a pas deux France, une France de l'ordre et une France de la générosité: quand on expulse un clandestin, il y a à la fois de l'exaspération devant ce phénomène de l'immigration clandestine et de la gêne devant la misère de ces gens. J'ai mis longtemps à comprendre cela. Mais je crois que la politique a pour but de répondre précisément à ces aspirations contradictoires. Pour y parvenir, il faut dire ce qu'on va faire, évaluer ce que l'on fait, rendre compte des résultats et s'engager sur eux. Le drame de la politique française, c'est de refuser de choisir et d'assumer. Moi, ça ne me gêne pas de dire que je suis de droite, mais je ne serai pas celui qui contribuera à la caricaturer. Je veux qu'elle s'adapte aux évolutions de la société et qu'elle accepte la diversité et le débat comme facteurs de richesse. Plus de vaches sacrées, plus de tabous. C'est la clef de la réponse au tsunami de 2002.

Je voudrais finir par une question plus personnelle: vous avez joué la «peopolisation» à fond jusqu'à mettre en scène votre fils mineur Louis. Vous dénoncez maintenant le voyeurisme des médias et entendez vous protéger. Votre erreur fondamentale n'est-elle pas d'aller toujours trop loin parce que vous pensez avoir toujours raison?
N. S. Je doute, je réfléchis, je travaille et quand j'ai une conviction j'essaie alors de la faire partager de toutes mes forces. Pour le reste, j'ai eu à subir ce qu'aucun autre homme politique n'a eu à subir ces dernières années. Je n'ai pas cédé à la peopolisation, comme vous dites. Cécilia et moi, nous avons été vrais d'un bout à l'autre. Nous n'avons jamais joué la comédie. Quant à la phrase de mon fils «bonne chance, mon papa!», c'était un clin d'œil adorable. Je suis prêt à reconnaître ma part d'erreur. Je ne joue la comédie ni sur mes idées, ni sur mon engagement, ni sur ma vie. Ma vie telle qu'elle était décrite dans les médias, c'était ma vraie vie. Peut-être ai-je commis l'erreur de donner trop. Mais je ne suis pas avare. La vie m'a beaucoup donné, et j'entends lui donner beaucoup. La politique, c'est une grande affaire de passion, et les passions, ça ne se vit pas avec calcul, avec mesquinerie. Les passions, c'est grand, et un destin, ça se construit. Ces six derniers mois ont sans doute été les plus durs que j'aie jamais eu à vivre, mais j'en sors renforcé.

© L'EXPRESS

http://www.lexpress.fr/info/societe/dossier/banlieue/dossier.asp?ida=435791

 

Social Science Research Council SSRC, Riots in France (Césari Jocelyne, Dufoix Stéphane, Hargreaves Alec G, Kastoryano Riva, Roy Olivier, Salanié Bernard, Silverstein Paul A, Suleiman Ezra, Wieworka Michel, Wenden Catherine Wihtol de), http://riotsfrance.ssrc.org/

 

Violences urbaines : c'est l'Etat qui a pris feu

Par Guy Sorman *

[14 novembre 2005]

Guy Sorman écrit "La guérilla urbaine engagée par les «jeunes des banlieues» n'est qu'un témoignage de plus de la déconnexion totale entre la société française telle qu'elle est devenue et la classe politique telle qu'elle ne change pas. L'Etat en France, c'est-à-dire ceux qui le dirigent, manifeste depuis une trentaine d'années un remarquable autisme qui affecte équitablement tous les partis : tous, il est vrai, recrutent dans le même marigot défini par quelques grandes écoles parisiennes. Pour l'Etatocratie, rien ne change et rien ne doit changer parce que la France est parfaite comme elle est et parfaite comme elle le fut. La conception de l'Etat, les manières de le gérer sont immuables, définies au XIIIe siècle : il convient que la société s'y adapte. Dans cette idéologie de l'Etat, il existe un modèle parfait que le monde nous envie, l'Etat en haut, la société en bas. L'Etat fixe le cap, la société suit. Cette société est constituée d'individus égaux par définition.

Or, depuis les années 1980, l'Etat parle dans le vide et la société file dans mille autres directions. Exemple : il n'existe plus aucune relation entre l'économie française, capitaliste et mondialisée, et une politique économique hexagonale à base de subventions aux agriculteurs qui entre-temps ont disparu. De même, il n'existe plus de relation entre le discours d'Etat sur l'immigration – interdite en droit – et les immigrés qui arrivent en nombre pour jouir de nos excellentes écoles et de nos très bons hôpitaux. Plus aucune relation non plus entre le discours d'Etat républicain sur la citoyenneté et la laïcité d'un côté et la Constitution de l'autre, de communautés ethniques et religieuses.

En somme, l'Etat est nu, mais il ne le sait pas ; la classe politique réfugiée dans ses palais du XVIIIe siècle et, dans deux arrondissements de Paris, assistés d'une haute fonction publique à son image, fort peu représentative, plus que jamais occupée à ses querelles internes, a pour principal objectif sa propre survie. Pendant ce temps, la France – réelle – brûle. Notre police étant efficace, on ne doute pas que le feu sera éteint et que tout reprendra comme avant car l'autisme d'Etat n'est pas plus curable que celui des enfants.

La société française s'est balkanisée, auto-organisée sur la base de solidarités nouvelles, à tous les milieux : le patronat s'est internationalisé, les étudiants se sont dépolitisés, les syndicats ne défendent plus les ouvriers mais leurs intérêts particuliers, les partis ont perdu leurs militants, les immigrés ont créé une économie parallèle. Toutes ces microsociétés habitent en France mais ne constituent plus une République française : les jeunes immigrés le disant plus clairement que d'autres, car ne possédant rien, ils n'ont rien à perdre.Il existerait bien une thérapie, mais lourde qui pourrait tuer le patient. Elle s'appelle l'autocritique. Mais imagine-t-on la classe politique avouer qu'elle a très mal géré l'Etat depuis vingt-cinq ans ? Qui s'avouera responsable du déficit public le plus sérieux en Europe ? Qui reconnaîtra l'inanité du discours archéo-républicain puisque des communautés existent ? Qui admettra que l'affirmative action à l'américaine aurait dû être tentée depuis longtemps, puisque la discrimination est réelle ? Qui avouera que l'Etat français se mêlant de tout, d'économie, de culture, d'interventions militaires et autres nobles ambitions, est devenu sur le terrain totalement inefficace : il y a deux ans, il laissa mourir trente mille vieillards déshydratés dans des maisons de retraite non climatisées. Voici qu'il se montre incapable de résister à quelques centaines de commandos de voyous. L'Etat ? Il est partout où la société n'a plus besoin de lui ; il est absent là où il serait nécessaire. Cet autisme politique est la véritable cause des incendies : à force de nous interroger sur une poignée d'incendiaires adolescents, demandons-nous pourquoi l'Etat ne les a pas vus venir ? Qui a créé les zones de non-droit d'où l'incendie est parti ? Les adolescents ou l'Etat autiste ?

* Essayiste. *

http://www.lefigaro.fr/debats/20051114.FIG0161.html?151006

 

"En France, vous ne reconnaissez
pas les communautés"

par Ted Stanger,
journaliste et essayiste américain.

Comment les violences dans les banlieues sont-elles perçues aux Etats-Unis ? Quelle est la source du problème selon les médias américains ?

- Tout d'abord quand on parle de violences en France, les Américains se souviennent de mai 68 et pensent révolution. Mais en règle générale, les Américains n'ont pas les moyens de comprendre ce qui se passe ici. Aux Etats-Unis, ce sont les milieux défavorisés qui vivent en centre ville, les banlieues étant réservées à la bourgeoisie ou la classe moyenne.
Par ailleurs, les cités ici sont bien mieux loties que les centre villes américains qui sont quasi abandonnés. Les logements sociaux sont très peu développés, tout appartient au secteur privé. La drogue, la criminalité, les flingues sont présents partout. On peut dire que la situation au quotidien est bien pire aux Etats-Unis. Mais par contre, il n'existe pas de zones de non-droit, la police y va, elle est beaucoup plus présente sur le terrain.
Les Américains ne comprennent pas ce refus du Républicain français à admettre que des communautés existent. Pour les Français, vous êtes Français, point. Vous n'êtes pas Français d'origine arabe, Français d'origine africaine, etc. D'ailleurs, il n'existe pas officiellement de statistiques pour dénombrer le taux de chômage chez les jeunes Maghrébins. Alors qu'aux Etats-Unis, avec la fin de la discrimination raciale on a fait un grand effort pour identifier le problème au niveau statistique, ce qui a permis d'en faire une analyse exacte.
En France, les écoles sont bien meilleures qu'aux Etats-Unis, puisque l'éducation est nationale. Vous donnez des moyens et faites des efforts dans les cités. Dans les quartiers défavorisés américains, les écoles sont dans un état désastreux puisque tout dépend des moyens financiers au niveau local.
Alors c'est vrai qu'on ne comprend pas bien comment ça en arrive là alors que vous disposez d'importants moyens financiers au niveau national. Je pense que votre problème vient du fait qua vous avez du mal au plan communautaire. Vous ne reconnaissez pas les communautés et vous continuerez, je crois, à avoir du mal sur ce plan là.

Y a-t-il déjà eu des violences comparables aux Etats-Unis ? Et comment le police gère-t-elle ce genre de situation ?

- Aux Etats-Unis, il y a eu bien pire. Les émeutes de 1992 à Los Angeles ont éclaté après le procès de l'affaire Rodney King où les policiers mis en cause ont été innocentés. Les violences ont été concentrées dans un centre ville des quartiers noirs. Ça a explosé. Il y a eu beaucoup plus de dégâts, de pillages, des maisons incendiées. Un camionneur blanc qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment avait été tabassé presque à mort. Par contre les américains ne s'attaquent pas aux édifices de la République. Ils n'ont pas idée de s'en prendre aux écoles, ni aux voitures qui sont sacrées aux Etats-Unis, synonymes de liberté. La jalousie sociale ne marche pas comme en France.
Par contre on s'attaque aux commerces. Les gens sont armés pour attaquer ou pour se défendre. Et les policiers y vont comme à la guerre. A côté, les CRS français sont bien moins protégés.
La politique de tolérance zéro à New York a permis, en vingt ans, de largement diminuer la criminalité dans les grandes villes et la population carcérale a beaucoup augmenté. Proportionnellement, la population carcérale en France n'est pas le quart de celle des Etats-Unis.

Comparée à celle de la France, quelles sont les grandes lignes de la politique américaine d'immigration ?

- Le regroupement familial existe aussi aux Etats-Unis mais est moins important qu'en France. Pour devenir immigré officiel, il faut soit avoir de l'argent pour pouvoir ouvrir un commerce, soit avoir des diplômes. Il faut qu'ils puissent faire fonctionner l'économie américaine, sinon on vous les laisse.
Concernant les immigrés clandestins, il y a des protestations mais on les tolère. On accepte notre rôle de pays d'immigration. Chaque année des centaines et des centaines d'immigrés traversent de nuit le Rio Grande dans l'espoir de travailler aux Etats-Unis. Et ça arrange bien les patrons qui ont alors accès à une main d'œuvre pas chère.
En ce qui concerne la politique d'intégration, on encourage les gens à conserver leur identité communautaire et notamment à conserver leurs langues. Les hispanos sont la première minorité et il existe des chaînes hispano, des cours en hispano, etc. Aux Etats-Unis, même s'il s'agit d'une troisième ou quatrième génération d'immigrés, on parle encore d'Italo-américains. On a vraiment la volonté d'une identité ethnique.
Quand je suis arrivée en France il y a dix ans, j'ai été choqué de la différence entre les gens de la rue, notamment à Paris, et ceux que l'on voit à la télévision, que des Blancs.

Propos recueillis par Manuelle Tilly
(le lundi 7 novembre 2005)

http://archquo.nouvelobs.com/cgi/articles?ad=societe/20051107.OBS4413.html&host=http://permanent.nouvelobs.com/

 

SYNTHÈSE DE LA PRESSE AMÉRICAINE

du 4 au 10 Novembre 2005

I. Violences urbaines en France

Les media américains ont abondamment couvert les violences urbaines qui sévissent depuis deux semaines. L’ampleur des violences a été rapportée par la presse écrite mais également par les médias télévisuels qui ont choisi les images les plus spectaculaires, passées en boucle. D’abord factuels, les reportages ont été rapidement complétés par des commentaires, les plus conservateurs des observateurs se laissant tenter par l’explication d’une sorte de « jihad » urbaine contre la France en dépit de l’attitude d’opposition de Paris aux Etats-Unis sur l’Irak ; la plupart mettent l’accent sur la faillite du système d’intégration français, l’aliénation économique et sociale des jeunes émeutiers, et leur crise d’identité.

Les quotidiens se sont intéressés aux mesures prises par le gouvernement français pour répondre aux actes de violence. Les articles constatent que malgré les déclarations du gouvernement sur l’adoption d’une attitude ferme de « tolérance zéro », les violences ont continué nuits après nuits. Le Washington Times parle des « efforts du gouvernement pour éviter une crise politique » alors que « les appels de Chirac sont restés sans effets ». « Les violences pourraient avoir des conséquences sur l’élection présidentielle de 2007 » prédit pour sa part Elyzabeth Bryant du San Fransisco Chronicle. Les mesures de couvre-feu et ses effets sont évoqués, alors que le New York Times se concentre sur les déclarations du gouvernement faisant état de la possible expulsion des émeutiers étrangers. Jocelyn Gecker s’interroge dans l’Atlanta Journal Constitution sur les conséquences d’une telle mesure alors que le Los Angeles Times estime qu’elles « pourraient raviver les tensions » alors que le calme semble revenir. Jack Kelly du Christian Science Monitor évoque, pour sa part, les initiatives citoyennes mises en place au sein des quartiers affectés par la violence pour prévenir les affrontements.

Les commentateurs reviennent sur les raisons de ces violences dans de nombreux éditoriaux et tribunes. Cela a été l’occasion pour de nombreux journalistes de s’intéresser à la question des banlieues en France. Le New York Times a ainsi publié un long article sur la situation des populations immigrées dans les cités, qui « vivent avec un sentiment de déception et de discrimination ». Dans le Washington Post, Dolly Moore fait état du nouveau phénomène de mécontentement exprimé sur Internet, et fait état des arrestations de jeunes bloggeurs ayant appelé aux violences. Nombre d’articles s’intéressent au problème européen de l’immigration, comme USA Today (« les émeutes en France : une leçon pour l’Europe ») ou le Los Angeles Times, ainsi qu’aux leçons qui doivent être tirées de ces événements : si les pays européens « sont incapables de bien traiter les immigrants et leurs enfants, ces sociétés d’accueil ont tout à redouter des étrangers mécontents et frustrés » estime le Kansas City Star, qui précise que ce schéma s’applique également aux Etats-Unis. Dans un éditorial intitulé « Melting Pot européen », le Christian Science Monitor s’interroge sur la capacité de l’Europe à adopter l’attitude des Etats-Unis vis-à-vis de ses immigrants, en considérant que cela ne sera possible que si l’Europe « offre des opportunités égales et encourage l’épanouissement personnel qui ont permis à un Barak Obama de devenir sénateur et à un Arnold Schwarzenegger d’être élu gouverneur ». La même réflexion est menée par David Ignatius, du Washington Post, qui estime que « les Français doivent avant tout rompre avec cet état de déni » face à la situation actuelle des minorités immigrées en France, car « la méritocratie à la française […] est monopolisée par l’élite déjà en place ». Contrairement aux Etats-Unis, la France est aujourd’hui dans une situation ‘d’affirmative action inversée’, qui garantit des résultats inégaux ». Le Baltimore Sun fait état des promesses récurrentes du gouvernement, non suivies d’effets, de s’attaquer aux problèmes de l’insécurité, du chômage, de la délinquance et du trafic de drogue dans ces quartiers à la périphérie de Paris, comme une des explications des tensions actuelles.

Le constat de Peter Ford du Christian Science Monitor est encore plus sévère : « la multiplication des violences a levé le couvercle d’un horrible mélange de pauvreté, de discrimination et de désespoir parmi ces familles immigrées que la plupart des Français avaient décidé d’ignorer depuis longtemps ». Cette analyse est développée par le journaliste qui évoque notamment les problèmes de chômage et les inégalités, auxquels les jeunes des banlieues doivent faire face, ingrédients très probables de l’éruption des violences. Certains avis sont plus ironiques et répondent aux critiques des médias français quant à la gestion de Katrina. Parmi eux, Anne Applebaum reproche, dans le Washington Post, un délai d’intervention trop long au président Chirac alors même que celui de Bush, plus court, avait fait l’objet de critiques, notamment de la part du Monde. Des commentateurs du Washington Times se fendent également de critiques souvent peu équilibrées de la situation en France, mettant en avant la question de l’islam. Helle Dale (comme Wesley Pruden) s’inquiète de la situation en Europe : « comme on l’a appris après le 11 septembre, les communautés d’immigrants en Europe sont devenues des foyers de possibles menaces terroristes ». Comme la chroniqueuse du Washington Times, le Wall Street Journal en profite pour critiquer vertement le modèle social et économique français. John Carreyrou estime que les « politiques du travail mal maîtrisées, qui protègent les travailleurs mais qui sont à l’origine d’un taux de chômage constant de 10%, sont nocives pour les jeunes et particulièrement pour ceux originaires d’Afrique ». Steven Komarrow propose une autre explication dans son article « La Belle France : un pays d’égalité et d’exclusion » : « ces immigrants sont censés être assimilés par une nation très protectrice de ses traditions, et cela peut conduire à des chocs culturels » (USA Today).

(N° 371/05/AT/AVDM)

Ambassade de France aux Etats-Unis, le 10 Novembre 2005

http://www.ambafrance-us.org/fr/actu/revue/synh371.asp

du 10 au 18 Novembre 2005

II - France

Dans un éditorial du 17 novembre, le Washington Times regrette que l’attention des media internationaux et plus particulièrement américains sur la France et ses problèmes se soit relâchée avec la baisse du nombre de voitures brûlées, et qu’elle se soit reportée sur « des spéculations sur les causes profondes » du « malaise » social mis en évidence par les violences urbaines. Le quotidien estime en effet que l’état d’urgence requis par le président Chirac puis voté par le Parlement n’a pas reçu la couverture médiatique qu’il méritait, notamment sur les réseaux de télévision et dans le New York Times : « cette indifférence est inacceptable », scande t-il.

La réponse gouvernementale et celle des politiques français ont pourtant suscité de nombreuses réactions dans la presse américaine qui met souvent en avant la timidité des autorités françaises successives à s’atteler à un désormais vieux problème. Ainsi, selon le chroniqueur du Washington Post Jim Hoagland, « par peur d’aggraver les tensions sociales, les hommes politiques de droite comme de gauche sont restés silencieux » ou ont adopté la langue de bois qui « a valu à la classe politique nationale de perdre sa crédibilité aux yeux de l’électorat au cours des deux dernières décennies ». Il estime également que la faiblesse de la réaction initiale serait due à « l’affrontement sourd » entre « deux hommes politiques conservateurs » candidats à la succession du président Chirac.

Le Wall Street Journal ne manque évidemment pas cette occasion de dénoncer le modèle social français, qu’il propose de remplacer par la libéralisation du marché du travail, la réduction des impôts, la réforme du système des retraites, sans oublier « la suppression de la domination des syndicats sur la vie économique ». Le quotidien économique explique plus loin que le militantisme syndical, associé à une forme de timidité politique, serait à l’origine de l’échec des tentatives de réformes entreprises jusqu’à présent et expliquerait le taux élevé de chômage en France, principale cause des violences selon le quotidien. L’ancien correspondant à Paris du Washington Post Keith Richburg insiste quant à lui davantage sur l’échec de l’intégration des populations immigrées à la société française, un échec qui est, selon lui, celui d’un modèle français « d’assimilation » inadapté aux jeunes d’origine arabe ou africaine. Il préconise donc la mise en place de mesures permettant une meilleure intégration, en évoquant l’idée de la discrimination positive comme solution.

Enfin, pour Cal Thomas dans sa chronique du Washington Times, la situation en France ne donne pas lieu de se réjouir car elle serait l’aperçu du futur immédiat de l’ensemble de l’Europe, ainsi que du « futur probable des Etats-Unis », à savoir « des millions de jeunes musulmans qui s’identifient davantage au ‘monde musulman’ qu’à leurs pays d’accueil ». Pour éviter que la France ne soit « le futur de l’Amérique », il s’agirait donc de reconnaître que « cette invasion [musulmane] est délibérée et significative », de même qu’il faudrait s’engager à « stopper la prolifération des musulmans radicaux » afin d’éviter un nouvel attentat terroriste contre les villes américaines.

(N° 372/05/AT/EG)

Ambassade de France aux Etats-Unis, le 18 Novembre 2005

http://www.ambafrance-us.org/fr/actu/revue/synh372.asp

Quel est ce pays qui brûle ?
LEMONDE.FR | 10.11.05 | 08h35 • Mis à jour le 10.11.05 | 10h17

Anne Applebaum, éditorialiste au Washington Post, lit Le Monde. Elle se souvient avoir vu en "une" du quotidien un dessin de Plantu qui dénonçait la manque de réaction de George W. Bush après le passage du cyclone Katrina. On y voyait le président américain regardant à la télévision des cadavres de Noirs flottant dans l'eau : "Mais c'est quel pays ? C'est loin ? Il faut absoluement intervenir !"

Anne Applebaum imagine le dessin que Le Monde devrait publier cette semaine, sur fond d'émeutes dans les banlieues. Jacques Chirac regardant à la télévision des banlieues noires en flammes : "C'est quel pays ? C'est loin ? Il faut absoluement intervenir !" Les événements des derniers jours sont l'occasion, pour plusieurs éditorialistes, de démolir ce modèle social dont les Français aiment tant se vanter.

UN MYTHE NATIONAL DÉFAILLANT ?

La comparaison entre la réaction de Bush après Katrina et celle de Chirac après les émeutes est sans appel : "Bush a mis deux jours à réagir, Chirac onze." Idem pour la réaction de l'opinion publique : quand les Américains "versaient 2 milliards de dons" pour les victimes du cyclone, les Français continuent de porter au plus haut dans les sondages Nicolas Sarkozy. Peu importe si celui-ci a qualifié les émeutiers de "rebut de la société".

Le fond du problème est là, poursuit l'éditorialiste : "La classe pauvre noire-américaine a beau être délaissée et maltraitée, la plupart des Américains considèrent ses membres comme américains. Je doute qu'une majorité de Français envisagent sérieusement la possiblité que les immigrés arabes et africains, tout comme leur descendance, puissent être français, même s'ils ont des passeports français." Dans ces conditions, pas de quoi être fier de son modèle social. Et Anne Applebaum de citer François Mitterrand, réagissant aux émeutes de Los Angeles : "Cela ne pourrait se produire à Paris, car la France est le pays où la protection sociale est la plus élevée au monde." John Vinocur, chroniqueur à l'International Herald Tribune, fustige lui aussi la morgue française :"En France, une constante de la classe politique est de dénigrer tout ce qui marche ailleurs, que ce soit aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. Cette immodestie généralisée, enracinée à gauche comme à droite, pousse à vanter un supposé modèle de civilisation qui vaudrait pour le monde mais qui ne trouve pas de confirmation sur place." Tant que les Français n'en auront pas fini avec leur "mythe national triomphant", il y a peu de chances qu'ils puissent trouver remède à leurs maux, poursuit-il.

LA CROISSANCE, SOLUTION MIRACLE ?

Anne Applebaum a bien une idée pour aider les Français à se sortir de la crise et mettre à bas "le mythe" qui les aveugle : "Envoyons-leur en masse des copies du Monde en remplaçant, dans tous les éditoriaux, le mot Etats-Unis par le mot France."

Anatole Kaletsky, chroniqueur au Times de Londres, est plus pragmatique. Il reconnaît que sa solution peut sembler "insensible et cynique", mais, selon lui, elle serait "la plus efficace pour aider ceux qui sont vraiment défavorisés et opprimés" : "ignorer" les émeutes, tout comme Margaret Thatcher avait ignoré les grèves des mineurs, au début des années 1980. "En deux semaines, toute violence avait disparu. Et elle n'est jamais réapparue", se rappelle Kaletsky. Mais attention, prévient-il : une telle attitude ne vaut que si la croissance économique suit. Elle seule peut "aider beaucoup plus les pauvres et les marginalisés que les riches". En d'autres termes : "Si le président Chirac et ses ministres avaient un peu de bon sens, ils arrêteraient de philosopher sur les idéaux de la Révolution française, et se concentreraient plutôt sur les politiques nécessaires pour accélérer la croissance de l'économie." Dans la première moitié des années 1980, Londres avait fait le choix de "réduire les taux d'intérêt et de dévaluer la monnaie." Paris en prendra-t-il de la graine ?

Marie Bélœil

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3208,36-708645,0.html

 

Emmanuel Todd : "Rien ne sépare les enfants d'immigrés du reste de la société"
LE MONDE | 12.11.05 | 17h12 • Mis à jour le 29.11.05 | 11h32

En 1995, vous analysiez la "fracture sociale", expression dont le candidat Jacques Chirac s'était alors servi avec succès pour sa campagne présidentielle. Dix ans après, où en est-on ?

L'expression "fracture sociale" n'est pas de moi. Elle est de Marcel Gauchet, mais elle m'est invariablement attribuée. Tant pis, j'ai renoncé à lutter. Dans une note de la Fondation Saint-Simon, à l'époque, j'avais décrit la réapparition des forces populaires après l'effondrement du communisme, en rappelant que les ouvriers et les employés représentaient toujours 50 % de la population. Au simple vu des recensements, l'idée giscardienne des "deux Français sur trois" dans les classes moyennes ne tenait pas.

Entre deux élections, la classe politique se laisse régulièrement aveugler par les sondages d'opinion, qui sont le reflet des couches supérieures de la société. Cela donne ces enquêtes qui montrent que Balladur va être élu, que les référendums vont passer facilement... Ce n'est que pendant les campagnes électorales que les milieux populaires s'activent progressivement. Chacun croit alors assister à un changement d'humeur de l'électorat, quand il s'agit, en fait, de l'émergence de l'opinion populaire : celle des gens qui n'ont pas forcément un avis sur tout à tout moment.

Depuis dix ans, scrutin après scrutin, l'aliénation des milieux ouvriers et populaires à l'égard de la classe dirigeante au sens large n'a fait que croître : les résultats du dernier référendum du 29 mai sur l'Europe l'ont bien montré.

Les violences dans les banlieues françaises sont-elles une conséquence de cette aliénation ?

Dans les années récentes, la vie politique française n'a été qu'une suite de catastrophes qui laissent les observateurs étrangers de plus en plus stupéfaits et narquois. La première catastrophe, c'est la présidentielle de 2002, avec un premier tour qui amène l'extrême droite dans le duo de tête et un second tour où Jacques Chirac est élu avec plus de 80 % des voix.

La deuxième catastrophe, si l'on se place du point de vue des classes dirigeantes, c'est le référendum sur l'Europe. Pendant des mois, tous les commentateurs étaient convaincus que le oui allait passer et, à la fin, le non l'a emporté haut la main. Choc, surprise, abattement. Les classes dirigeantes commencent tout juste à se rendormir, en tentant de se persuader que la société est redevenue stable, quand survient la troisième catastrophe : cet embrasement des banlieues dont nul ne sait encore s'il est terminé. Et, chaque fois, la délégitimation des classes dirigeantes devient plus flagrante.

Le scénario des catastrophes dont vous parlez est-il toujours le même ?

Non, elles ne font pas agir les mêmes couches. Le Pen au second tour en 2002, c'est le vieux monde populaire français qui forme le coeur du vote FN. Le non au référendum, c'est l'entrée en scène d'une partie des classes moyennes, liée à la fonction publique, que je qualifierais de petite bourgeoisie d'Etat. La troisième catastrophe, celle des banlieues, met en jeu d'autres acteurs : des jeunes issus de l'immigration. Ceux-ci sont encore séparés des milieux populaires français pour des raisons historiques et culturelles, bien qu'ils appartiennent au même monde en termes sociaux et économiques. Les trois groupes que je viens de décrire ont en commun un antagonisme à l'égard du système et des classes dirigeantes.

En revanche, on ne voit pas apparaître de solidarité entre eux. Par exemple, je reste persuadé que les deux classes qui ont produit le non au référendum ­ les milieux populaires et la petite bourgeoisie d'Etat ­ ont des intérêts profondément divergents. Les premiers sont en rage contre le statu quo, qui signifie, pour eux, chômage et écrasement des salaires dans un monde ouvert à la concurrence ; la seconde désire le maintien du statu quo, qui la laisse à l'abri du libre-échange et lui assure une garantie de l'emploi.

N'y a-t-il pas un antagonisme entre ces deux catégories et la troisième, celle des jeunes issus de l'immigration qui brûlent des voitures ?

C'est très inquiétant de voir brûler des voitures, des autobus et des maternelles. Et les choses peuvent encore dégénérer. Malgré tout, je penche pour une interprétation assez optimiste de ce qui s'est passé. Je ne parle pas de la situation des banlieues, qui est par endroits désastreuse, avec des taux de chômage de 35 % chez les chefs de famille et des discriminations ethniques à l'embauche.

Mais je ne vois rien dans les événements eux-mêmes qui sépare radicalement les enfants d'immigrés du reste de la société française. J'y vois exactement le contraire. J'interprète les événements comme un refus de marginalisation. Tout ça n'aurait pas pu se produire si ces enfants d'immigrés n'avaient pas intériorisé quelques-unes des valeurs fondamentales de la société française, dont, par exemple, le couple liberté-égalité. Du côté des autres acteurs, la police menée par le gouvernement, les autorités locales, la population non immigrée, j'ai vu de l'exaspération peut-être, mais pas de rejet en bloc.

Voulez-vous dire que les jeunes se révoltent parce qu'ils ont intégré le modèle républicain et sentent qu'il ne fonctionne pas ?

Exactement. Je lis leur révolte comme une aspiration à l'égalité. La société française est travaillée par la montée des valeurs inégalitaires, qui touche l'ensemble du monde développé. Assez bien admise aux Etats-Unis, où son seul effet politique est le succès du néoconservatisme, cette poussée inégalitaire planétaire passe mal en France. Elle se heurte à une valeur anthropologique égalitaire qui était au coeur des structures familiales paysannes du Bassin parisien. Ce substrat, qui remonte au XVIIe siècle, ou plus loin encore, ne se retrouve pas du tout dans la paysannerie anglaise, chez qui la transmission des terres était inégalitaire.

Quand on est en haut de la société, on peut se faire à la montée de l'inégalité, même si on est contre sur le plan des principes : ce n'est pas trop inconfortable. En revanche, les milieux populaires ou les classes moyennes la vivent très mal. Cela donne le vote FN, qui a une composante d'égalité, avec cette capacité à dire merde aux élites, et une composante d'inégalité, avec le fait d'aller chercher plus bas que soi l'immigré bouc émissaire.

Pour ce qui est des gosses de banlieue d'origine africaine ou maghrébine, ils ne sont pas du tout dans la même situation que les Pakistanais d'Angleterre ou les Turcs d'Allemagne. Chez nous, les taux de mariages mixtes tournaient au début des années 1990 autour de 25 % pour les filles d'Algériens, alors qu'ils étaient de 1 % pour les filles de Turcs et d'epsilon pour celles de Pakistanais. La simple mixité ethnique des bandes de jeunes en France est impossible à concevoir dans les pays anglo-saxons. Evidemment, je ne suis pas en train de donner une vision idyllique de la France de 1789 qui serait à l'oeuvre, avec le postulat de l'homme universel, ce rêve des nationaux républicains.

Que pensez-vous de la réaction de la République face aux émeutes ?

Je n'étais pas contre la possibilité d'un couvre-feu devant des violences vraiment inquiétantes. Dans l'ensemble, je trouve que la réaction de la police et du gouvernement a été très modérée. En mai 1968, on criait bêtement "CRS : SS", mais, en face, les forces de l'ordre ont fait preuve d'une maîtrise exceptionnelle. A l'époque, les milieux de gauche disaient que la police n'avait pas tiré parce que la bourgeoisie ne voulait pas tuer ses propres enfants.

Là, dans les banlieues, on a vu que la République ne tirait pas non plus sur les enfants d'immigrés. Ceux-ci n'étaient d'ailleurs pas seuls concernés. Il y a eu un effet de capillarité entre toutes les jeunesses, même au fin fond de la province française. Le premier décès, périphérique aux événements, a entraîné une décrue immédiate. La presse étrangère qui ricane de la France devrait méditer cet exemple.

Je trouve d'une insigne stupidité de la part de Nicolas Sarkozy d'insister sur le caractère étranger des jeunes impliqués dans les violences. Je suis convaincu au contraire que le phénomène est typique de la société française. Les jeunes ethniquement mélangés de Seine-Saint-Denis s'inscrivent dans une tradition de soulèvement social qui jalonne l'histoire de France. Leur violence traduit aussi la désintégration de la famille maghrébine et africaine au contact des valeurs d'égalité françaises. Notamment l'égalité des femmes. Pourtant, malgré les soubresauts inévitables, la deuxième et la troisième génération de fils d'immigrés s'intègrent relativement bien au sein des milieux populaires français, et certains rejoignent les classes moyennes ou supérieures.

Si je ne suis pas optimiste sur le plan économique ­ je pense que la globalisation va peser de plus en plus sur l'emploi et les salaires ­, je suis optimiste sur le plan des valeurs politiques. En termes de résultat, après ces deux semaines d'émeutes, que voit-on ? Ces gens marginalisés, présentés comme extérieurs à la société, ont réussi à travers un mouvement qui a pris une ampleur nationale à intervenir dans le débat politique central, à obtenir des modifications de la politique d'un gouvernement de droite (en l'obligeant à rétablir les subventions aux associations des quartiers). Et tout ça en réaction à une provocation verbale du ministre de l'intérieur dont on va sans doute s'apercevoir qu'ils auront brisé la carrière. On peut être plus marginal !

Emmanuel Todd, 54 ans, est historien et démographe. Essayiste original, il a notamment publié, en 1994, Le Destin des immigrés (Seuil).

Propos recueillis par Raphaëlle Bacqué, Jean-Michel Dumay et Sophie Gherardi
Article paru dans l'édition du 13.11.05

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-709613,0.html

 

Trois grands pas vers l'émeute

Michel Wieviorka*
Les violences urbaines en France ont impressionné le monde entier, et à juste titre. Le phénomène n'est pas neuf, puisqu'il a connu ses premières manifestations dès la fin des années 70, quand des jeunes se lançaient dans des " rodéos " : une voiture est volée, de préférence une BMW, et amenée au cœur de la Cité, où elle tourne extrêmement vite, puis est incendiée sous les yeux des habitants du quartier qui se mettent à leur fenêtre. Mais le phénomène présente des aspects qui donnent à penser, pour reprendre l'expression de l'historien Charles Tilly, que l'action a un " répertoire " inédit.
1. Ce qu'il y a de nouveau
Ces violences ont duré près de trois semaines, alors que les émeutes les plus importantes des 25 dernières années ne duraient pas plus de deux ou trois nuits. Elles se sont étendues à l'ensemble du territoire national, alors qu'elles étaient jusque-là circonscrites pour l'essentiel à une seule commune. Elles ont mobilisé des jeunes et même des très jeunes, on a parlé de préadolescents âgés de dix ou onze ans parfois. Elles ont été portées par des jeunes issus, pour beaucoup, de l'immigration, mais pas seulement de l'immigration maghrébine ; certains viennent de toutes sortes de pays, et parmi eux, d'Afrique sub-saharienne, et beaucoup d'observateurs ont souligné le caractère déstructuré des familles de cette immigration. Ces jeunes ont témoigné d'une très grande mobilité, ils ont été de ce point de vue particulièrement modernes, inscrits dans une culture où l'on sait se rassembler et se disperser en un rien de temps, avec en particulier l'usage généralisé du téléphone mobile.
Cette violence ne parlait pas, il n'y a pas eu de discours explicatifs, et encore moins de porte-parole, de leaders, de textes, d'organisation, aucun principe de structuration concrète, ce qui était moins le cas dans le passé. Cette violence n'a pas visé les personnes en tant que telles - avec une exception notoire, lorsqu'un habitant d'un immeuble venue éteindre le feu d'une poubelle a été tué par un jeune incendiaire. Mais sinon, il s'agissait de mettre le feu. D'une part à des voitures, pratique non pas neuve, mais ici systématisée, qui permet d'assurer le spectacle, et d'attirer les médias, et, de là, le personnel politique et l'opinion publique. Et d'autre part à des bus (transport public) et à des écoles ou des crèches, c'est-à-dire à des éléments de présence institutionnelle dans les quartiers. Parfois aussi, à des commerces. Et par ailleurs, il a pu s'agir d'affronter la police et les pompiers, représentants de l'ordre, et de la sécurité.
2. Trois échelles de temporalité
Pour comprendre ces violences, l'analyse doit conjuguer trois types de temporalité.
La première est celle du long terme, en l'occurrence une trentaine d'années. Le point de départ, en effet, est donné au milieu des années 70, quand la France sort de ce que l'économiste Jean Fourastié a appelé les " Trente Glorieuses ", les années d'après-guerre dominées par le développement, le plein emploi, la croissance, la confiance dans le progrès et dans la science et la centralité du conflit opposant les maîtres du travail au mouvement ouvrier. En quelques années sont apparues alors les données d'une crise totale : sociale, institutionnelle, culturelle et politique. La crise est d'abord sociale, avec la montée de l'exclusion, du chômage, surtout pour les jeunes, de la précarité, de la désaffiliation, complétés, puisqu'il s'agit pour beaucoup de jeunes issus de l'immigration, par le racisme et les discriminations. Elle est aussi institutionnelle, puisque toutes les institutions de la République commencent à peiner à tenir leur belle promesse de " liberté, égalité, fraternité ".
Elle est culturelle, dans la mesure où l'identité nationale, qui constitue l'identité collective unique dans l'espace public, est affaiblie du dehors (la mondialisation, la construction européenne), et du dedans, avec la poussée de nombreuses identités particulières qui demandent à être reconnues dans l'espace public, à commencer par l'islam -il faut dire que l'immigration, qui était de travail se transforme, avec la loi sur le regroupement familial de 1975, et que la figure du " travailleur immigré " seul, célibataire, inclus socialement, par le travail et exclu culturellement et politiquement puisqu'il ne pense qu'à rentrer au pays, laisse la place à celle du " beur " ou de la " beurette ", exclue socialement (chômage -l'industrie s'écarte du fordisme et n'a plus besoin de toute cette main d'oeuvre non qualifiée) et inclus en théorie, puisque appelée à devenir française. La crise est aussi politique, car les acteurs qui assuraient la médiation entre les demandes populaires et le système politique et l'Etat disparaissent des " banlieues " : le Parti communiste décline dans ses anciens fiefs des " banlieues rouges ", les associations, auparavant si actives, périclitent. Cette crise se lit dans l'espace urbain, car les quartiers de logement social connaissent une profonde transformation. Dans les années 50, 60 et encore 70, le logement social assurait une promotion et un progrès pour ceux qui venaient de taudis de centre-ville, de logements minuscules, de foyers, d'hôtels meubles ou de bidonvilles, et quand les familles devenaient plus aisées, elles le quittaient pour des quartiers plus agréables. Il devient de plus en plus un lieu de relégation, où ne restent que les plus pauvres, les plus démunis, où viennent de plus en plus de familles d'immigrés, et d'où on ne sort plus comme avant.
C'est donc un faisceau de difficultés qui toutes mettent en cause, en un quart de siècle, un modèle d'intégration qui fonctionnait jusque-là socialement, institutionnellement, culturellement et politiquement. La crise totale est en fait la panne du modèle français, dans toutes ses dimensions.
Elle a été exacerbée, à une deuxième échelle de temporalité, par la politique récente, celle mise en place par le gouvernement Raffarin qui, dans la foulée des élections de 2002 (du Président Jacques Chirac et d'une majorité de droite au Parlement) a choisi de défaire le peu qui tenait ces quartiers populaires la tête hors de l'eau : suppression de la police de proximité (en fait, une réalisation peu efficace du gouvernement Jospin), mais aussi des emplois-jeunes, et réduction drastique des subventions aux associations assurant le travail social, l'animation socio-culturelle ou l'éducation populaire. Au-delà de l'échec des politiques de la ville, il y a eu en l'occurrence annulation de telles politiques durant plus de deux ans, jusqu'à l'arrivée, mais trop tard, du ministre de la ville, M. J.L. Borloo.
Enfin la troisième échelle de temporalité est celle de la conjoncture, avec ici deux points décisifs. D'une part, la mort de deux adolescents de Clichy-Sous-Bois, électrocutés parce qu'ils s'étaient réfugiés dans un transformateur d'électricité car ils se croyaient (à tort semble-t-il) poursuivis par la police. Les émeutes, en France comme ailleurs, sont déclenchées souvent par un évènement qui est perçu comme profondément injuste, une " bavure " policière (ou sa rumeur), une décision inique de la justice (comme en 1992, à Los Angeles, lorsqu'un jury de Blancs avait acquitté les policiers que des images vidéos avaient montré au monde entier en train de tabasser violemment un Noir). Et d'autre part, le vocabulaire du ministre de l'Intérieur, M. N. Sarkozy, parlant de " racaille " et de nettoyage des quartiers populaires " au Karcher ", a été entendu comme visant non seulement les délinquants, mais aussi toute la jeunesse de ces quartiers en général, et donc comme une disqualification, une stigmatisation, une injustice supplémentaire.
3. Et maintenant ?
Face à la violence, il fallait tout d'abord calmer le jeu. Le gouvernement a adopté des mesures impressionnantes, et en particulier a eu recours à une loi de 1955, votée au début de la Guerre d'Algérie, ce qui a donné au couvre-feu qu'elle autorisait des relents post-coloniaux. Mais il est vrai que l'opinion publique a été plutôt satisfaite de cette décision. Il a aussi annoncé diverses mesures, sociales, en fait prises à la hâte, sans concertation, sans négociation (mais avec qui aurait-il pu sérieusement négocier ?) et qui donnent l'image d'un catalogue hétéroclite, et sans capacité à régler sur le fond le problème.
En fait, le pays manque cruellement de grandes visions politiques d'ensemble, qui inscriraient une éventuelle politique de la Ville dans un projet général de société. Le Parti socialiste, à gauche, est tout à ses jeux internes, obsédé qu'il est par la question de la désignation de son candidat pour l'élection présidentielle de 2007. Et à droite, seul Nicolas Sarkozy a une vision large du futur, basée sur trois points : libéralisme économique, fermeté répressive de l'Etat, et recours, le cas échéant, à des leaders religieux, musulmans, pour assurer la paix sociale. Sur ce dernier point, il est vrai que l'on a pu assister à un spectacle paradoxal, puisque non seulement il n'y avait aucun islamisme dans la révolte des banlieues, mais qu'en plus, ce sont des dirigeants musulmans qui ont été pratiquement les seuls acteurs de terrain a pouvoir appeler utilement au calme -la religion au secours de la République laïque !
Il est donc difficile d'être optimiste, et d'envisager des réponses qui soient à la hauteur de la crise actuelle, et pleinement satisfaisantes pour un esprit républicain et démocratique.
*Directeur d'études à L'École des hautes études en sciences sociales, il dirige aussi le Centre d'analyses et d'interventions sociologiques crée par Alain Touraine et les Cahiers internationaux de sociologie.

http://www.carta.org/cantieri/bandlieues/051201trois.htm

 

Wikipedia, Emeutes (Violences urbaines) de 2005 dans les banlieues françaises, http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89meutes_de_2005_dans_les_banlieues_fran%C3%A7aises

-, Réactions internationales aux émeutes de 2005 en France, http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9actions_internationales_aux_%C3%A9meutes_de_2005_en_France

 

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